Bâtards et enfants trouvés
Trois ducs de Normandie furent des bâtards, dont le fameux Guillaume. Mais à l'exception des bâtards nobles, le sort des enfants naturels était jadis peu enviable. Certains ont pourtant pris une revanche sur la mauvaise fortune.
Le mot bâtard - étymologiquement "engendré sur le bât" ou "dans la grange" - apparaît dès le XIIe siècle et restera d'usage courant jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Des bâtards, il y en a dans tous les milieux : de l'enfant de la paysanne séduite à celui de la fille violée, en passant par celui de la servante amoureuse de son seigneur ou de la bourgeoise consolée de son veuvage.
Les bâtards de nobles ont longtemps été considérés comme une catégorie intermédiaire entre nobles et roturiers, selon l'adage "la verge anoblit". Dans certaines régions (Auvergne, Gascogne, Navarre, Béarn), les familles les plus anciennes et les plus titrées en font une tradition à l'instar des rois de France.
Ces bâtards, qui portent le nom de leur père, sont élevés au château. Arrivés à l'âge adulte, ils sont dotés pour pouvoir épouser des filles de riches laboureurs ou de petite bourgeoisie, mais restent à leur place. Compagnons agréables pour le fils du maître, seconds couteaux pour les bagarres entre clans, dames de compagnie pour les filles, ce ne sont pas des nobles à part entière. Arnaude, fille naturelle du seigneur de Durfort en Béarn, reçoit, à la mort de son père, vêtements nuptiaux, robe écarlate et manteau fourré de vair. D'autres testaments stipulent le vivre, le couvert, le vêtement et le cheval pour chacun des bâtards. Mais ceux-ci n'héritent pas, sauf s'il n'y a point d'enfants légitimes. Le seigneur peut alors légitimer son bâtard et lui céder titres et fiefs.
Les bâtards de roturiers sont peu nombreux (1,2 % des naissances) car "le paysan n'a pas les moyens de semer à tout vent" et de compenser ses fautes par des dons à l'Eglise : l'enfer l'attend. La mère est souvent seule durant la grossesse, elle accouche loin de chez elle, dans la ville, et sait qu'elle sera seule pour élever son enfant. Concubine délaissée, servante séduite ou bourgeoise adultère, elle ressent celui-ci comme une gêne et une honte. Dans le meilleur des cas, élevé tant bien que mal par sa mère, il ira vers set ans grossir les rangs des gagne-deniers, vendeurs de fruits et décrotteurs. Mais le plus souvent, il sera abandonné dès sa naissance.
La vie précaire des enfants trouvés
Tous les enfants abandonnés ne sont pas des bâtards. On considère que 30 % d'entre eux sont des enfants légitimes que les parents confient à des institutions en raison de leur grande misère, ou d'un projet d'émigration. Au XVIIIe siècle, à Paris, plus de 4500 enfants sont abandonnés chaque année. Et plus le pain est cher et plus le nombre des admissions dans les hôpitaux augmente.
Pendant le XVIIe siècle, la quasi-totalité des enfants trouvés étaient des enfants "exposés", laissés la nuit dans la rue. Ce procédé demeure utilisé au XVIIIe siècle : ainsi, à Bayonne, c'est une petite fille qu'on découvre le 2 août 1750, sous un porche. Elle est installée dans un petit panier avec de la paille. Elle a pour lange un morceau de flanelle rayée blanc, vert et rouge. Une guenille de toile de lin recouvre son corps et un bonnet de coton brodé d'un ruban rose lui protège la tête. Certains enfants portent des signes de reconnaissance, une carte avec un prénom griffonné, un ruban ; ultime espoir d'une mère de les retrouver un jour.
Le XVIIIe siècle voit s'instaurer le "tour", qui permet aux femmes de laisser leur enfant à l'hôpital en gardant leur anonymat. Dans les grands hôpitaux, on installe une porte à deux compartiments, l'un extérieur, l'autre intérieur. Dès que la femme a déposé l'enfant, elle sonne et s'en va. La religieuse descend, fait tourner la boîte et récupère l'enfant. C'est un grand progrès, qui évite au petit de mourir faute de soins.
Ces enfants abandonnés sont souvent fragiles et leur taux de mortalité est considérable. A Paris, 84% d'entre eux meurent avant la fin de leur première année, contre 14% pour l'ensemble des bébés français de l'époque. Variole, diphtérie, dysenterie, malnutrition les guettent. Entassés chez la nourrice, parfois tuberculeuse, ils sont rares à survivre. Près de Bourg-en-Bresse, le couple Morellet a reçu ainsi douze enfants entre 1755 et 1775 : tous sont morts rapidement.
Au bout de deux ans de nourrice, si l'enfant a survécu, il revient à l'hôpital. Les chambres ne sont pas aérées, il y pleut, la nourriture est frugale. Là, il apprend un métier : travaux d'aiguille ou quelque autre métier manuel ; puis c'est le placement comme apprenti. Beaucoup deviennent soldats : "la patrie les a nourris, ils lui appartiennent. D'ailleurs, ils ne tiennent à rien et n'ont rien à perdre." D'autres sont encouragés à peupler les colonies. Louisiane ou Antilles. L'adoption est rare, et non institutionnalisée.
Enfants trouvés et bâtards avaient un départ dans la vie souvent plus difficile que les autres. Certains d'entre eux pourtant on tenté de prendre une revanche sur leur naissance. Devons-nous nous attarder sur les enfants de grands nobles ? Même si la frustration existe face à leur demi-frère, leur sort paraît bien enviable. Jean de la Trémoille, bâtard, est gouverneur de Craon et Châteauneuf, Jean de Monluc, bâtard, est gouverneur de Cambrai et finit maréchal de France. César de Bourbon, bâtard d'Henri IV, reçoit le duché de Vendôme, et l'on sait le rôle que Louis XIV fit jouer à son bâtard, le duc du Maine.
Mais à partir du XVIIIe siècle, des enfants illégitimes moins bien nés sortent eux aussi du rang. Julie de Lespinasse tient salon littéraire, reçoit écrivains, savants, artistes, philosophes, animant avec intelligence la conversation. Olympe de Gouges est connue pour être la rédactrice d'une Déclaration des droits de la femme, c'est aussi une femme de lettres, amie de Louis Sébastien Mercier, Condorcet, Beaumarchais. D'Alembert, homme de lettres, avocat, membre de l'Académie des sciences et de l'académie française, est le chef de file des Encyclopédistes. Le duc de Momy est le ministre et le conseiller écouté de son demi-frère Napoléon III. Eugène Delacroix couvre ses carnets de croquis et atteint la célébrité par son talent, tout comme Mademoiselle Chanel qui oublie rapidement sa famille pour évoluer dans le Monde.
Ces hommes et ces femmes ont un point commun : ils n'ont pas eu de parents, ou si peu ! Enfants adultérins, comme Olympe de Gouges ou Delacroix, abandonnés comme d'Alembert, illégitimes comme Chanel ou Julie des Lespinasse, leur liberté d'esprit leur a permis de transformer les circonstances défavorables de leur naissance en véritable destin.
Claude Grimmer
Claude Grimmer a notamment publié Vivre à Aurillac au XVIIIe siècle (PUF 1983) et la femme et le bâtard (Presses de la Renaissance, 1983)
Où chercher :
On trouve des registres d'enfants trouvés dans les archives de nombreux hôpitaux. Certains indiquent ceux qui sont rendus à leurs parents, les enfants exposés, procès-verbaux état divers des enfants en nourrice et de ceux qui sont reconnus légitimes et rendus à leurs parents.
Les registres de déclarations d'enfants naturels sont plus rares.
Les archives de l'ancienne Assistance publique devenue Aide sociale à l'Enfance sont conservées 7, rue des Minimes, 75003 Paris (Service de documentation et des Archives). Le chercheur y trouvera des dossiers remontant à 1639 ainsi que les registres d'admission et de décès des hôpitaux chargés d'héberger ces enfants à Paris : la Charité (depuis 1702), la Salpêtrière (depuis 1721), Bicêtre (depuis 1725), Vaugirard (depuis 1780), Cochin (depuis 1784) et l'Hôtel Dieu (depuis 1791). Des extraits sont délivrés par le service, mais sans indiquer les causes du décès.
Dans les départements (et Paris est considéré comme un département, c'est la direction des Affaires sanitaires et sociales (DASS) qui s'occupe des enfants abandonnés, des enfants trouvés, des orphelins et des cas de déchéance totale de l'autorité parentale et qui seule peut répondre aux demandes de renseignements. L'adresse de la DASS de Paris est 12 rue de la Collégiale (75005). Dans les départements s'adresser à la DASS du département. Les dossiers de sont jamais communiqués. Les conditions dans lesquelles l'enfant a été abandonnés ne permettent pas toujours de répondre. Pour Paris les dossiers d'avant 1874 ont été versés aux Archives de Paris, quai Henri IV.
Il faut écrire, ne pas se déranger ni téléphoner.
Extrait de l'ouvrage :
Guide des recherches sur l'histoire des familles par Gildas Bernard
Aux Archives communales vous pouvez consulter :
Archives antérieures à 1790
La série GG : assistance publique, cultes, instruction publique, médecins, chirurgiens, sages-femmes.
Archives postérieures à 1790
La série Q : assistance et prévoyance : personnel des bureaux de bienfaisance et hôpitaux
Aux Archives départementales vous pouvez consulter :
Archives de 1800 à 1940
la série X : assistance publique (1800-1940) : enfants assistés, pupilles de la nation,etc…