Les cuisines de nos grands mères

Du feu de bois au micro-onde.

Dans les cuisines de campagne, le feu ne s'éteignait jamais, même au plus chaud de l'été. Une maison sans feu, c'était une maison sans âme. Une âme   que symbolisait bien le filet de vapeur s'échappant à longueur de journée de la marmite en fonte noire, culottée de suie, pendue à la crémaillère. Marmite inusable, transmise de génération en génération, où mitonnaient du matin au soir la soupe de légumes ou le pot-au-feu.

L'image qui vient le plus spontanément à l'esprit lorsqu'on évoque une cuisine de campagne est celle de la marmite fumante accrochée à la crémaillère, au-dessus d'un crépitant feu de bois. Mais si la marmite était parfaite pour faire bouillir les soupes quotidiennes, les poules au pot, si les fritures dans la poêle à long manche s'accommodaient parfaitement de la flamme vive, la cuisine mijotée nécessitait un réchaud à braise ou à charbon de bois : le potager.

Quant à la cuisine au four, elle s'accomplissait soit dans le four à pain, soit dans un four aménagé dans la cheminée. Tout cela exigeait beaucoup d'espace, et pour équiper les maisons bourgeoises et les appartements des villes, on imagina un nouvel appareil remarquablement compact pour son temps, le fourneau.

Cheminée - cuisinière à deux feux - fonte émaillée

Les fourneaux : Quelle que soit leur marque, les fourneaux fabriqués par des maîtres poêliers témoignent d'un grand souci d'esthétique : frises ornementales, fleurs, carreaux émaillés et décorés.

La batterie de cuisine primitive ne tarda pas à se développer de manière conséquente, puisque, dès le néolithique, il y a quelque huit mille ans, on rencontre l'écumoire (une omoplate percée), l'entonnoir, la passoire (en terre cuite en Afrique, en vannerie en Asie), le tamis, le couperet (avant l'apparition des métaux, une grande lame d'ardoise faisait l'affaire), la râpe, le mortier et son pilon…

Cette cuisine "paléolithique" s'est perpétuée jusqu'au XXe siècle avec la cuisine au feu ouvert dans la cheminée : un gril pour les grillades, une broche pour le rôti, une marmite pour le bouilli, la cendre pour cuire à l'étouffée et la fumée pour conserver. Simplement, les ustensiles avaient quelque peu évolué, avec les développements successifs de la métallurgie : cuivre, fer, fonte. Mais l'antique terre cuite n'a jamais cessé d'être utilisée.

C'est au XIXe siècle, avec la généralisation des objets manufacturés, que la batterie de cuisine prend l'ampleur que nous lui connaissons. Et de nouveaux ustensiles font leur apparition : l'invention de la boîte de conserve entraîne celle de l'ouvre-boîtes et de l'incontournable clé à sardines, la généralisation du bouchon de liège appelle celle du tire-bouchon.

Avec l'essor industriel du XIXe siècle, tout change. Les progrès de l'emboutissage des feuilles de métal, du moulage de la fonte, permettent de réaliser en grande série des ustensiles identiques, à des prix beaucoup plus abordables que par le passé.

Deux nouveaux matériaux apparaissent; le fer-blanc, mince tôle de fer étamée, très bon marché, et, à partir de 1870, la tôle et la fonte émaillées de couleurs éclatantes. Pratiques, légers et solides, ces objets ont eu vite fait de reléguer les pots en faïence et les casseroles en cuivre au fond des placards.

A la même époque, les manufactures de faïence accomplissent de leur côté de rapides progrès : le tournage des pièces est remplacé par le moulage, le décor peint à la main recule devant l'arrivée des décalcomanies, permettant d'appliquer en quelques secondes des décors complexes et variés pour un prix de revient très faible. Ces assiettes massivement produites par les faïenceries de Gien, de Lunéville ou de Sarreguemines, pour ne citer que celle-ci, décorés des scènes de bataille, de caricatures, de dessins humoristiques, et dont la série en douze épisodes, vont littéralement inonder le marché.

Ainsi, depuis plusieurs siècles, la naissance de nouveaux ustensiles adaptés à de nouvelles habitudes alimentaires et la disparition simultanée d'objets devenus obsolètes est constante. Nombre d'objets longtemps indispensables ont cessé d'être utilisés, comme le pot à lait pour faire bouillir chaque jour le lait frais, ou le garde-manger grillagés, suspendu au frais dans la cave. La plupart de ces objets, souvent très usés, subitement rendus inutiles par le progrès et considérés comme sans valeur, ont été relégués au grenier, ou jetés "pour faire de la place". Et, de la même façon que la vulgarisation du four à micro-ondes a donné naissance à une nouvelle famille d'ustensiles appropriés, l'évolution de la cuisine à la cheminée à celle du fourneau, puis sur la cuisinière à gaz, et plus récemment sur des plaques électriques et des plaques à induction, a été marquée par des générations successives de matériels culinaires ; la marmite à suspendre a fait place à la cocote à poser, les manches des poêles ont perdu l'essentiel de leur longueur, la fonte noire et le cuivre étamé se sont effacés devant l'aluminium, la tôle émaillée, puis l'acier inoxydable et très récemment les vitrocéramiques, en attendant peut-être un nouveau composite miracle…

La corvée de vaisselle

Avant l'avènement du lave-vaisselle et des "super-dégraissants subtilement citronnés qui laissent les mains encore plus douces après qu'avant", la vaisselle était une redoutable corvée, encore compliquée par l'absence d'eau courante, la difficulté à disposer d'eau chaude à volonté et la médiocrité des produits d'entretien existants.

La vaisselle de fer était récurée au sable, tout simplement. Pour les autres matières, on utilisait des poudres à récurer ou du savon pierre-ponce mousseux, plus une série d'instruments barbares comme les éponges en fil de zinc, le gant nettoyeur en lamelles de cuivre tressées, le cure-casseroles, sorte de gros pinceau rond en fils d'acier, la brosse à récurer en fils de bronze….Sans oublier, bien sûr, la classique lavette à franges de coton sur un manche en bois. Ensuite, il n'y avait plus qu'à frotter, frotter encore, frotter énergiquement. Rendre leur éclat aux ustensiles noircis par le feu ou brûlés intérieurement requérait une infinie patience.

Hacher, couper, broyer, battre, fouetter…. Vocabulaire culinaire et vocabulaire guerrier ont bien des ressemblances. C'est qu'en cuisine aussi il s'agit de désosser, démantibuler, démembrer, tout cela à l'arme blanche des hachoirs et des couperets.

Si vous avez des recettes pour cuisiner à l'ancienne, elles pourraient faire l'objet d'un autre article sur la cuisine autrefois. Nous comptons sur vous.

Extrait de l'ouvrage de Jean-Noël Mouret

Editions : Hatier