La révolution démographique en France

I. Le mouvement naturel de la population

            A. Le recul de la mort

Trois phases marquent le recul de la mort en France, un des seuls pays avec l’Angleterre et la Suède dont on possède des séries statistiques séculaires : diminution rapide dans les deux premières décennies du siècle, long palier de 1830 à 1880-1890, nouvelle chute à la fin de la période.

Plusieurs facteurs expliquent le déclin de la mortalité. D’abord, les progrès de l’hygiène et de la médecine : extension de la vaccination antivariolique (1796), « révolution microbienne » de la seconde moitié du XIXè siècle, illustrée par les travaux de Pasteur (1822-1895), pratique de la désinfection, de l’antisepsie, de l’anesthésie... En outre, la révolution des transports limite les effets des crises de subsistances et surtout les révolutions industrielle et agricole entraînent une élévation du niveau de vie dans la deuxième moitié de la période : l’alimentation s’améliore en quantité et en qualité, les travaux de rénovation urbaine réduisent l’insalubrité de la ville (aménagements des égouts, élimination des cloaques, élargissement des voies de circulation, adductions d’eau potable, etc.). De ce fait, la vie s’allonge, l’espérance de vie à la naissance augmente, la population commence à vieillir.

La durée moyenne de la vie s’élève dans les milieux nationaux et sociaux qui bénéficient du progrès matériel et scientifique, avec une prime à la richesse et à la féminité. Partout les femmes vivent de 3 à 4 ans de plus que les hommes.

 

Hommes

Femmes

Vers 1860

38

41

1913

48

52

Espérance de vie par sexe en France (en années)

L’inégalité devant la mort est encore plus flagrante si l’on compare entre elles les classes sociales. A Paris, vers 1885, le taux de mortalité des quartiers aisés est de 14‰, contre 30‰ dans les quartiers populaires. La malnutrition, le défaut d’hygiène dans le logement ou sur les lieux de travail, le manque de soins diminuent la résistance physique des hommes du peuple, des travailleurs de la ville surtout, mais aussi des ouvriers agricoles.

Les classes populaires paient un lourd tribut à la mortalité infantile, à la famine, aux épidémies.

La médiocrité des progrès de la pédiatrie et de la puériculture explique l’extrême lenteur du recul de la mortalité infantile, qui s’abaisse en France de 187‰ en 1810 à 167‰ en 1880 et 126‰ en 1906.


            B. Le fléchissement tardif de la natalité

Contrairement au taux de mortalité qui décline sensiblement dès le début du siècle, le taux de natalité stagne ou décroît lentement, avant d’accentuer sa tendance à la baisse à partir de la seconde moitié du XIXè siècle.

La motivation la plus vraisemblable de la restriction des naissances semble être la volonté des ménages de conserver ou d’élever leur niveau de vie; en limitant les dimensions de la famille, on espère aussi transmettre aux héritiers un bien qui les mette à l’abri du besoin ou donner aux enfants la possibilité d’acquérir l’instruction et les diplômes qui leur ouvrent des carrières « honorables », stables ou, en tout cas, suffisamment rémunérées pour assurer un train de vie bourgeois. Les convictions religieuses peuvent modifier ce schéma global, notamment chez les catholiques, qui répugnent à la contraception, mais en gros il apparaît que ce sont les classes aisées et instruites qui pratiquent les premières le contrôle des naissances, dont Malthus prônait l’emploi pour les déshérités d’abord.

II. La croissance urbaine et le déclin de la population rurale

            A. Le déclin de la population rurale

A l’exception de la Grande-Bretagne, toutes les sociétés sont à prédominance rurale jusqu’au milieu du XIXè siècle. A la veille de la première guerre mondiale, le peuple des bourgs et des villages est encore plus nombreux que celui des villes ( en France aussi ).

L’abandon des campagnes par une partie de leurs habitants est donc loin de prendre partout l’aspect brutal d’un exode. D’abord progressifs et souvent temporaires, les départs vers la ville s’accélèrent et s’amplifient avec l’industrialisation, qui ruine l’artisanat rural, à commencer par le textile, et avec l’extension des pâturages aux dépens des labours, qui restreint l’emploi d’une main-d’oeuvre concurrencée en outre, à la fin du siècle, par l’introduction du machinisme dans la culture. La ville attire et fixe dans les usines et les maisons bourgeoises les tisserands, les ouvriers agricoles, les domestiques, les anciens adeptes des migrations saisonnières et des petits métiers de rues (ramoneurs savoyards, porteurs d’eau et chaudronniers auvergnats, maçons creusois...). Le chemin de fer favorise un déplacement massif vers les agglomérations urbaines, qui se gonflent de centaines de milliers d’immigrants.

            B. L’explosion urbaine

De 1851 à 1910-1914, la part des citadins dans la population totale passe, en France, de 25,5 à 44,2 %.

L’industrialisation et la révolution des transports provoquent l’essor fulgurant de petites localités, l’expansion vigoureuse de villes anciennes comme Lyon, et surtout la formation d’une métropole qui dépasse le million d’habitants. Paris passe de 546.000 habitants en 1800 à 1.053.000 en 1850 et, après avoir annexé les communes comprises entre le mur d’octroi et les fortifications, 2.888.000 en 1911, 4.521.000 avec ses nouvelles banlieues immédiates du département de la Seine.

Loger, nourrir, soigner, éclairer, faire circuler ces masses humaines suppose des investissements et des travaux dont on parle longtemps avant de les réaliser ( à Paris, sous le Second Empire). La ville déborde ses enceintes, quand elle ne les détruit pas, s’étend vers la périphérie le long des axes de communication (voies ferrées, voies d’eau, routes) et se développe en hauteur dans le centre. Elle opère en son sein une ségrégation sociale, réservant aux riches les beaux quartiers de l’Ouest à Paris, et rejetant les pauvres dans les zones déshéritées et les communes industrielles de la périphérie.

            C. La modification de la structure professionnelle

Le passage d’une société rurale et agraire à une civilisation industrielle et urbaine se traduit par une profonde mutation de la structure professionnelle de la population. Malgré la diversité des catégories statistiques d’un Etat et d’un recensement à l’autre, la tendance de l’évolution se dégage nettement : recul du secteur primaire (agriculture, pêche, forêts), progrès des secteurs secondaire (industrie) et tertiaire (transports, commerce, services publics et privés, professions libérales).

 

1866

1906

Agriculture, forêts, pêche

49,8 %

42,7 %

Industrie

29 %

30,6 %

Commerce et transports

8,1 %

14,2 %

Prof. libérales, fonctionnaires

6,7 %

7,9 %

Domestiques

6,4 %

4,6 %

Population active en France

Article rédigé par Fabrice BOURREE
d’après La Société française, 1789-1960 de G. Dupeux;
et Le XIXème siècle, 1815-1914 de J. Heffer.