LE DIVORCE

La loi Naquet autorisait le divorce.

Le 27 Juillet 1884 - il y a un peu plus d'un siècle - la loi Naquet autorisait le divorce en France. Longtemps repoussé au Palais-Bourbon, accepté en 1882, refusé pendant plusieurs mois par le Sénat, le projet Naquet obtint enfin un vote favorable à la Chambre haute. En fait, le problème se posait depuis près d'un siècle.

Le 16 Février 1880, fut jouée au Théâtre Français une comédie de Victorien Sardou qui scandalisa les bien pensants : Daniel Rochat. L'auteur y exposait des théories alors fort discutées, pour et contre le mariage religieux. L'émotion fut vive chez les catholiques.

Peu après, Sardou lançait une autre pièce intitulée Divorçons ! Elle mettait en scène une jeune femme, lasse de la vie conjugale et éprise d'un de ses cousins, attendant que la loi sur le divorce, dont tout le monde parlait alors, fût enfin promulguée et que ledit cousin rompît sa propre union, pour se rendre libre lui aussi et contracter un second mariage. La pièce, qui pourtant se terminait bien, fit beaucoup de bruit à Paris. A cette date, en effet, le problème du divorce donnait lieu à des discussions passionnées.

Le mariage, contrat civil.

Sous l'Ancien Régime, le divorce n'existait pas. L'église catholique, tout en admettant la séparation de corps, affirmait l'indissolubilité du mariage-sacrement : l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. Cependant, les protestants s'élevaient contre ce principe. Les "philosophes" l'attaquaient avec véhémence.

La Révolution arriva. Le mariage devint un contrat civil, donc susceptible d'être résilié. Le grand principe de la liberté prônée dans la Déclaration des droits semblait d'ailleurs, aux yeux des réformateurs, incompatible avec un engagement pour la vie. C'est sous la Révolution que le divorce fut autorisé par la loi du 20 Septembre 1792. Au cours du premier trimestre de 1793 on relevait à Paris, 562 divorces pour 1875 mariages ...


La Constituante hésita pourtant à prendre parti. Mais après la chute du trône, la Législative fut moins timorée. Le Député Aubert Dubayet demanda à ses collègues la promulgation d'une loi "destinée à faire le bonheur du couple". Il présenta en effet le divorce sous un jour optimiste :

"Loin de rompre les noeuds de l'hyménée, vous les resserrerez davantage. Dès que le divorce sera permis, il sera très rare, affirmait-il ... On supporte plus facilement ses peines quand on est maître de les faire finir".

En somme, la perspective de pouvoir divorcer devait donner au conjoint malheureux la patience de supporter ses maux. On ne sait si cet argument convainquit les députés. Cependant, à la veille de laisser la place à la Convention, la Législative promulgua la loi du 20 Septembre 1792 admettant le divorce par consentement mutuel, ou pour cause d'incompatibilité d'humeur, même alléguée par un seul des deux époux, ou dans sept cas déterminés : démence d'un des conjoints, condamnation à des peines infamantes, crimes ou sévices, dérèglement des moeurs, abandon du domicile conjugal, absence prolongée, émigration. La séparation de corps acceptée sous l'Ancien Régime était abolie.

La Convention facilita la procédure. Ainsi, une séparation de fait de six mois serait désormais suffisante pour obtenir le divorce.

Sous la Terreur, le nombre des divorces s'accrut, surtout chez les couples où l'un des conjoints était parti en émigration : l'autre demandait le divorce pour conserver ses biens, quitte à se remarier plus tard.

Sous le Directoire, la facilité des moeurs amena une multiplication des divorces. On se mariait pour divorcer, et l'on se mariait de nouveau pour divorcer encore. Le Député Mailhe expliquait à ses collègues des Cinq-Cents :

"Le mariage n'est plus en ce moment qu'une affaire de spéculation : on prend une femme comme une marchandise en calculant le profit dont elle peut être, et l'on s'en défait sitôt qu'elle n'est plus d'aucun avantage."

Ce procès fait aux maris pouvait être valable pour les épouses.

Le Code civil

Dès le début du Consulat, Bonaparte voulut réagir contre l'excès des libertés. Le Code civil maintint le droit au divorce mais le divorce pour incompatibilité d'humeur fut supprimé (on accepta cependant, avec quelques restrictions, le principe du consentement mutuel) et le nombre des "motifs déterminés" jadis de sept, fut réduit à trois : adultère, excès ou sévices, condamnation à des peines graves et infamantes. L'infidélité de la femme était alors jugée infiniment plus grave que celle du mari. La procédure du divorce fut compliquée, les détails allongés, la séparation de corps rétablie.

Napoléon, dès 1802, envisageait sans doute d'avoir un jour à répudier Joséphine. Il divorça en 1808. Son lien religieux contracté "clandestinement" à la veille du sacre, fut déclaré nul par l'officialité de Paris. L'Empereur avait en vue la continuité de sa dynastie, mais le divorce fut interdit aux membres de la famille impériale. Dans l'ensemble, sous l'Empire, le nombre des divorces fut assez faible.

Dès le retour de Louis XVIII sur le trône, le catholicisme redevint religion d'Etat et le divorce fut de nouveau interdit par la loi du 8 Mai 1816. Sous la Monarchie de Juillet, des voix réclamèrent à plusieurs reprises l'abrogation de cette loi. Ces demandes reçurent un accueil favorable à la Chambre des députés mais furent repoussées par les pairs. Un nouveau projet, présenté par Crémieux après la révolution de 1848, n'aboutit pas : la IIe République avait des problèmes plus urgents à résoudre. Sous le Second Empire, la question demeura en sommeil. Une tentative, vite avortée, de la Commune demeura sans suite.


Enfin, Naquet survint

Une nouvelle décennie s'écoula. Alfred Naquet se fit le champion du divorce. Né à Carpentras en 1834, ce médecin-chimiste, emprisonné sous l'Empire (1867) pour des motifs politiques, puis émigré en Espagne, fut plusieurs fois élu député (puis sénateur) après l'instauration de la IIIe République. Il siégeait à l'extrême-gauche et réclamait un impôt sur le capital. Peu d'hommes furent autant critiqués, vilipendés, brocardés que cet Israélite idéaliste et passionné, certainement sincère dans ses idées.

Pendant des années, Naquet milita donc pour le rétablissement du divorce. Dès 1868, il avait publié un ouvrage Religion, propriété, famille, dans lequel il prônait l'union libre. Un nouveau livre, le Divorce, parut en 1877. Repoussant la séparation de corps, source de beaucoup de maux, il présentait le divorce comme une institution hautement moralisatrice, un "remède héroïque" réclamé "par les personnes honnêtes" et repoussé "par les dépravés". La routine seule, affirmait-il, ou l'immoralité, pouvait retarder cette réforme salutaire.

Lui-même se jugeait comme un défenseur de la famille. Selon lui, l'indissolubilité d'un couple amenait des discordes, alors que la crainte du divorce pouvait aider à maintenir l'harmonie dans un ménage. C'était donc au nom du droit de la famille qu'il conduisait sa campagne. Le divorce pouvait en effet servir à resserrer les liens familiaux et être une sauvegarde pour les enfants en évitant les disputes des parents. Il ajoutait que l'indissolubilité du mariage entravait la liberté de tous les non-catholiques, protestants, juifs et athées.

En Juin 1876, Naquet demanda le retour pur et simple de la loi de 1792. Le projet ne fut même pas discuté : les députés le rejetèrent purement et simplement en décembre.

Attaques personnelles

Dix-huit mois plus tard, Naquet formula une autre proposition moins radicale que la précédente : entre temps, il avait fait quelques concessions à l'opinion publique réticente (ainsi le consentement mutuel ne pouvait être admis qu'après deux ans de mariage et interdit après vingt ans de vie commune, ou quand l'épouse aurait atteint quarante-cinq ans).

A cette date, la majorité des députés considérait que d'autres réformes étaient plus urgentes. Cependant, des discussions s'ouvrirent à la Chambre. L'affaire traîna. Pendant ce temps, Naquet et ses amis parcouraient la France.

Leur but était de créer autour de la question un courant d'opinion. Des conférences furent organisées dans les départements. Il fallait, disaient les orateurs, consolider l'oeuvre de la Révolution, vaincre les forces de l'obscurantisme et de la réaction.

Les conservateurs réagirent. Les plus violents traitèrent alors Naquet de Jacobin, et même de Jacobin "sanguinaire", ce qui était manifestement fort exagéré ! D'autres raillaient son physique ou l'attaquaient dans sa vie privée. En Mai 1879, un article malveillant parut dans le Figaro.   Après s'être gaussé de ce que Naquet appelait lui-même ces "imperfections physiques", l'auteur, un certain Renal, insinuait que le député, marié à l'église, voulait imposer le divorce pour pouvoir divorcer lui-même.

Naquet, dans une lettre ouverte au journal, résuma sa situation. Marié civilement (et non religieusement) il s'était, après les décès successifs de ses deux fils ainés, séparé de sa femme qui, convertie au catholicisme, élevait leur troisième fils dans des idées qu'il réprouvait (ainsi elle avait voué l'enfant à la Vierge Marie), mais il se refusait à la moindre action contre une épouse qu'il respectait, et ne songeait aucunement à divorcer.

Cette explication fit ricaner les intransigeants, mais le Figaro, lui-même, en publiant la réponse, précisait : "Cette lettre fait honneur à M. Naquet : dans tous les partis, elle vaudra à l'homme privé des sympathies que nous sommes obligés de refuser à l'homme politique."

Dans les milieux littéraires, Naquet se voyait appuyé par des écrivains illustres, en particulier par des auteurs dramatiques comme Alexandre Dumas fils et Emile Augier.

Les va-et-vient d'un projet de loi

Les grands débats s'ouvrirent à la Chambre en Février 1881. Le ministre refusa avec virulence le projet de Naquet. Il fallait, disait-il, "sacrifier quelques souffrances individuelles au maintien de l'institution du mariage qui est la source des familles et la pierre angulaire de l'Etat".

Le président de la Chambre, le radical Henri Brisson pourtant franc-maçon, anticlérical, libre penseur, partageait ces idées. Il critiquait surtout la clause du consentement mutuel :

"Ne sentez-vous pas que vous n'aurez jamais le consentement de celui qui torturera l'autre ?"

Et il brossait un tableau sinistre des vexations que le plus fort imposerait au plus faible pour obtenir son consentement. Le projet fut repoussé mais, en novembre 1881, Naquet revint à la charge avec des propositions qui tenaient compte de certaines objections.

De nouvelles controverses commencèrent. Tous les vieux arguments pour ou contre le divorce furent repris dans une atmosphère agitée. La question du consentement mutuel fut l'objet de vives critiques. Un des opposants fit remarquer qu'il faudrait obtenir le consentement des enfants, car ceux-ci "ont droit à une famille qu'on leur enlèverait sans les consulter !" Le camp adverse répondit que lorsque les querelles entre les parents devenaient trop vives, on ne pouvait plus parler de "droit à la famille".

Le projet Naquet fut pourtant adopté à la Chambre en Juin 1882 et transmis au Sénat où une commission fut nommé pour l'étudier. Celle-ci ne se pressa pas. Près de deux ans s'écoulèrent avant le début des discussions à la Chambre haute.

Le projet fut finalement voté au Sénat, après amendement, le 24 Juin 1884 par 153 voix contre 116 (la clause du consentement mutuel étant supprimée). Revenu à la Chambre, il fut de nouveau accepté le 19 Juillet par 155 voix contre 115. La loi Naquet fut promulguée le 27 Juillet 1884.

Les législateurs admettaient le divorce pour trois motifs : adultère, excès ou sévices ou injures graves, condamnation à une peine afflictive et infamante. En outre, après trois ans de séparation de corps, le divorce pouvait être acquis. Le "divorce sanction" favorisait le conjoint innocent, punissait le coupable.

Pour Naquet, c'était un demi-triomphe. Il eut vite la satisfaction de voir peu après de nouvelles facilités offertes aux candidats au divorce. Dès 1886, la procédure fut simplifiée. En 1904, une loi autorisa le conjoint adultère à épouser son ou sa "complice". En 1908, une autre loi facilita la conversion de la séparation de corps en divorce.

Le régime de Vichy tenta, par une loi de 1941, de revenir en arrière, mais une ordonnance de 1945 supprima l'essentiel de cette loi. Depuis 1975, trois motifs de divorce sont envisagés : consentement mutuel, rupture de vie commune, faute grave d'un des époux. Enfin la séparation de corps, après trois ans, peut être convertie en divorce.

Qu'était-il devenu, Naquet, après son "succès" de 1884 ? Fervent admirateur du général Boulanger, il poussa de son mieux, mais en vain, celui-ci à accomplir son coup de force. Un peu plus tard, compromis dans le scandale de Panama, il fut acquitté après un procès et rentra dans le vie privée. Il mourut à Paris en 1916.

Nombre de divorces en France

1885 :    4 123

1955 : 31 268

1965 : 34 877

1974 : 57 000

1975 : 61 496

1978 : 75 000 (environ)

1981 : 85 000 (environ)

Bernard DENUELLE (Historia)

Pour les généalogistes :

Depuis la loi du 18 Avril 1886, doivent être inscrits en marge des actes de naissance de chacun des époux, la date et le lieu des jugements modifiant leur contrat de mariage, prononçant leur séparation de corps ou leur divorce.

Il n'existe pas de registre de "divorce", mais pendant la période révolutionnaire, dans certaines communes, des actes de divorces ont été enregistrés, avec les autres actes d'Etat civil.