LES ETRENNES D'AUTREFOIS

Six ou sept cents ans avant Jésus-Christ, les Romains, la veille du premier jour de l'an, se rendaient dans un bois des environs de la Ville éternelle consacré à la déesse Strena ou Strenia. Ils coupaient des rameaux de verveine qu'ils offraient au monarque et aux grands.

Cette verveine fleurie s'offrait au printemps. Romulus avait, en effet, institué un calendrier de dix mois commençant en mars. Mais le premier jour de l'an n'était pas très fixe. Le roi Numa voulut apporter un peu d'ordre, "inventa" janvier et février, et les plaça après le mois de décembre, dernier mois de l'année; mais le système était si peu au point que, en 189 avant Jésus-Christ, on vit le 1er janvier célébré en plein coeur de l'été...

Jules César mit le holà en créant le calendrier qui porte son prénom et en faisant commencer l'année le 1er janvier, tout en conservant le nom de huitième mois à octobre, de neuvième à novembre et de dixième à décembre, qui "reculait" pourtant de deux rangs.

La déesse Strena, qui donna son nom aux étrennes, fut alors fêtée en plein hiver et les tiges de verveine rituelle furent souvent quelque peu racornies et fanées. Les Romains y joignaient du miel et des figues, symboles de la douceur que l'on souhaitait voir aux puissants dans leurs relations avec leurs inférieurs. Plus tard, on y ajouta des piécettes d'argent... Ce qui permit à Ovide de faire dire à Janus :

- Dans les siècles passés, nos pères étaient bien simples de croire que le miel était plus doux que l'argent !

Auguste recevait les cadeaux en espèces sonnantes avec le sourire, tandis que son successeur, Tibère, assez misanthrope et peu intéressé, les refusait et restait confiné chez lui. Bien plus, il signa un édit interdisant aux Romains de célébrer le jour de l'an durant toute la première décade au cours de laquelle personne ne travaillait et ne pensait qu'à recevoir et à donner des cadeaux.

Caligula fut plus accommodant ... Il poussa même la compréhension jusqu'à   rester le premier jour de l'année dans l'atrium de son palais pour accueillir la monnaie d'argent et l'inévitable brin de verveine.

Nos ancêtres les Gaulois... ânonnaient les écoliers contemplant l'image traditionnelle ornant leur manuel : des druides en robe blanche cueillant avec une faucille d'or du gui offert à l'aube de chaque nouvelle année aux jeunes filles. Celles-ci devaient conserver le rameau durant toute la durée de l'an neuf.

- Au gui l'an neuf !

A notre époque, on a ajouté le baiser sous le gui... ce qui est une étrenne parfois agréable, mais toujours peu coûteuse...

A son arrivée en Gaule, le christianisme interdit le gui, de même qu'à Rome il avait voué aux gémonies la douce verveine. Tous ceux qui continuèrent à offrir des cadeaux à l'époque des anciennes calendes de janvier, étaient excommuniés et leur présents qualifiés d'étrennes diaboliques.

C'est à Charles IX que vous devez vos étrennes au 1er janvier.

Bien des maris de jadis - et d'aujourd'hui - essayent de faire cumuler le cadeau de Noël avec celui du 1er janvier.

- Je te donnerai quelque chose de plus beau, mais cela comptera aussi pour le 1er janvier !

Au Moyen Age, les époux soissonnais n'avaient même pas à chercher une aussi cruelle - et commode - excuse. A Soissons, on célébrait le 1er janvier... le 25 décembre, le jour de Noël. On possédait d'ailleurs à cette époque, un jour de l'an "baladeur". Reims fêtait le début de l'année le 25 mars, le jour de l'Annonciation, tandis que d'autres villes avaient choisi le dimanche de la Passion.

Certaines régions, fidèles au souvenir d'un édit de Charlemagne - c'était également le souvenir de Romulus - offraient des cadeaux le 1er mars. Paris préférait le changement et identifiait le premier jour de l'année avec le jour de Pâques...

Charles IX fut choqué par ce jour de l'an par trop fantaisiste qui se célébrait à la cour en mars ou en avril selon les caprices de la lune. Il résolut de suivre Jules César et la marche du soleil. Les signes zodiacaux ne s'élèvent-ils pas avec le soleil de janvier à juin, pour redescendre de juin à décembre ? Dans tout le royaume, le 1er janvier 1564 devint le jour de l'an : l'année 1563 n'eut donc que neuf mois...

Sous les règnes des derniers Valois, le calendrier en vit d'ailleurs de drôles. Dix-huit ans plus tard, on s'aperçut que Jules César avait commis une petite erreur et que l'on se trouvait dix jours en retard sur le soleil. Le pape Grégoire XII décida alors que le 5 octobre serait le 15 octobre et le calendrier julien fut abandonné au profit du calendrier grégorien.

Petits bijoux, pour deux ou trois sous...

Au siècle dernier, en curant la Seine le long des rives de l'île de la Cité, on exhuma de la vase une quantité incroyable de soldats de plomb. Cette armée pacifique était tombée des éventaires des boutiques qui, durant des années, dressèrent leurs cloisons de bois entre le pont Saint-Michel et le pont aux Changes.

C'était la foire aux étrennes. Voulez-vous savoir ce que l'on y trouvait ?...

Cela vous donnera peut-être des idées ! Le poète François Colletet, le Colleté "crotté jusqu'à l'échine" caricaturé par Boileau, énumère une quantité d'objets :

En ce lieu, on voit des tablettes
Toutes couvertes d'allumettes,
De petits pains, de harengs secs
Qu'on nomme des harengs sorets,
Des bouteilles par cent rangées,
Que l'on a farcies de dragées
Pour estrenner petits et grands,
Et surtout les petits enfants.
Là le marchand qui songe au lucre,
Vend des petits hommes de sucre,
Des charrettes et des chevaux
Qui ne souffrent pas grands travaux,
Et que, sans trouver trop estranges,
Un enfant, à déjeuner, mange.
Icy, ce sont des gaufriers,
Avecques leurs petits foyers,
Et, là, le peuple sot admire
Cent figures faites de cire,
Dont les pieds et les mains par art
Branlant sur un fil de richart.
Enfin, ce ne sont que boutiques,
Non de grandes pièces antiques,
Mais de divers petits bijoux
Que l'on a pour deux ou trois sous.

La vogue du pantin "branlant sur un fil de richart" se prolongea durant longtemps. On les achetait aussi aux XVIIe et XVIIIe siècles galerie du Palais, ou chez Gersaint, près du pont Notre-Dame. Il y en avait en soie brochée d'or... et même en strass, cette nouvelle matière brillante inventée par l'Allemand Strass.

Boucher dessina même un pantin destiné à la duchesse de Chartres. Il était de bon ton de joindre au pantin ou à la pantine un quatrain :

Que Pantin serait content,
S'il avait l'air de vous plaire !
Que Pantin serait content,
S'il vous plaisait en dansant !

Si vous viviez au XVIIe siècle - et si vous étiez grand seigneur - les cadeaux de Noël et du jour de l'an vous auraient ruiné. Mazarin, qui était pourtant d'une ladrerie bien connue, conduisait, la veille du jour de l'an, les dames de la cour dans une galerie de son palais, leur remettait des billets de loterie, qui tous, étaient gagnants. On vit un jour - et le cas n'avait rien d'exceptionnel - Mlle de Montpensier gagner un diamant de 4 000 livres...

Le cardinal Dubois - qui fut, lui aussi Premier ministre - ne suivit pas l'exemple de son prédécesseur.

- Comme étrennes, déclara-t-il à ses domestiques, je vous donne tout ce que vous m'avez volé dans le courant de l'année.

Les dames ne se contentaient pas de recevoir des présents, elles en offraient. Pour la Noël de 1675, Mme de Thianges donna au jeune duc du Maine, bâtard du Roi-Soleil, une chambre sublime.

C'était un cabinet doré, vaste comme une table, et contenant des personnages en cire. Au centre, on pouvait voir le duc du Maine, entouré de Bossuet et de La Rochefoucauld... ce qui n'était pas une compagnie fort divertissante pour un moutard de cinq ans. Mme de Thianges s'était, elle-même, fait représenter en train de lire des vers à Boileau, qui ne semblait guère y prêter attention, étant fort occupé à empêcher, à l'aide d'une fourchette, des diablotins de pénétrer dans la chambre.

La reine Marie-Thérèse poussait la gentillesse jusqu'à donner, chaque Noël, des cadeaux à la maîtresse de son mari : Mme de Montespan. Monsieur beau-frère de la jolie main gauche de la favorite, lui offrit, en 1679, une soucoupe d'or ciselée entourée d'un cordon d'émeraudes et de diamants estimée 10 000 écus. Mme de Montespan remercia mais n'offrit rien. Elle se contenta, cette année-là, d'envoyer une discipline enrichie de diamants à la princesse d'Harcourt et, à Mme de Maintenon - qui, un jour, prendra sa place - un petit volume garni d'émeraudes, imprimé en lettres d'or et intitulé : Oeuvres diverses d'un auteur de sept ans. Ce bambin-écrivain était son fils, le petit duc du Maine.

Le 31 décembre 1684, elle présenta à son royal amant un livre en or contenant les miniatures de toutes les villes prises par lui au cours de la campagne de 1672 avec des commentaires dus à Boileau et à Racine.

Un cadeau galant : un diamant en poudre.

Le galant prince de Conti avait l'habitude d'offrir à ses belles amies, pour la Noël ou pour la nouvelle année, une bague enrichie de diamants et ornée de son portrait. M. de Conti collectionnait les bonnes fortunes et, à ce jeu, un autre s'y fût ruiné, mais le prince avait les reins solides et, lorsqu'il mourut, on trouva chez lui une "réserve" de plusieurs centaines de bagues.

Un jour l'une de ses conquêtes lui renvoya la bague traditionnelle, la trouvant sans doute un peu trop compromettante.

- je ne veux accepter de vous que le portrait de mon serin !

M. de Conti ne se formalisa pas le moins du monde et trouva même ces scrupules fort délicats. Il envoya à son amie le portrait du serin monté en bague, mais recouvrit la miniature d'un énorme diamant émincé...

La jeune femme garda le serin, mais retourna cette "pelure" de diamant au donateur. M. de Conti poussa alors la galanterie jusqu'à adresser à la dame un madrigal dont l'encre avait été asséchée par la diamant réduit en une poudre impalpable ! Mlle de Blois, duchesse d'Orléans, offrit pour son Noël, à la petite infante venue en France épouser Louis XV, une poupée, son trousseau et son mobilier ayant coûté une fortune. On ne sait si on exigea que la fillette rendît la poupée lorsqu'on la renvoya en Espagne...

Le futur Louis XIII se vit offrir, en 1610, peu avant la mort de son père, "une petite galère qui marchait par ressorts et dont les hommes voguaient par les mêmes moyens", tandis que Louis XIV, enfant, reçut toute une armée de soldats de plomb... en argent.

Au XVIIIe siècle, c'est le règne des automates. Au fils de ce grand seigneur - peut-être pour parfaire son éducation - on envoie, le jour de l'an, une petite chambre où se tenait un élégant seigneur. La plaque de la cheminée s'ouvrait et l'on voyait alors entrer dans la "pièce" une souriante jeune femme.

Le Dictionnaire du commerce de 1741 nous apprend que, pour les enfants des bourgeois, on confectionnait "des religieux sonnant leurs cloches, des prédicateurs en chaire, des crocheteurs chargés de bonbons, et tant d'amusements grotesques et ridicules, propres à amuser un âge incapable d'aucune occupation plus sérieuse".

Au XVIIIe siècle, il n'est pas de Noël ou de jour de l'an sans almanachs. Leurs titres ? Bijou des dames, Passe-temps des jolies femmes, l'Amusement des coquettes, l'Ami des belles ... A la fin du siècle, on mettra ces publications à l'ordre du jour et un certain abbé Mulot publiera un Almanach des sans-culottes.

Les différents gouvernements se servirent même de cette vogue comme moyen de propagande. C'est ainsi que le 1er janvier 1849 apparaîtra un Almanach de Napoléon et des glorieux souvenirs destiné à soutenir la candidature du futur Napoléon III.

On avait même créé des almanachs de bois "à l'usage des illettrés". Ils avaient la forme d'un cube, et, dans les campagnes, se suspendaient au-dessus de la cheminée. Chaque face représentait trois mois, jalonnés par des signes symboliques : une étoile pour l'Epiphanie, coeur pour la Vierge, clefs pour saint Pierre, une harpe pour David.

Lorsqu'on eut démoli la Bastille, on ne sut trop que faire de cette montagne de pierres. On construisit bien avec elle le pont de la Concorde -sait-on qu'en traversant la Seine devant la Chambre des députés, on "foule" ainsi la Bastille ? - mais il en restait encore ! On lança alors la mode de fragments de pierres de la célèbre forteresse montés en broches. Il était de bon ton d'en offrir en guise d'étrennes. Mais bientôt, les cadeaux du jour de l'an furent interdits, étant considérés comme moeurs aristocratiques. Tout au plus admettait-on - étant donnée l'intention patriotique - des boucles d'oreille représentant de mignonnes petites guillotines...

Les boutiques du jour de l'an, autorisées sur les anciens remparts - nos boulevards d'aujourd'hui - disparurent sous la Révolution, étant considérées, on ne sait pourquoi, comme royalistes. Elles firent une timide réapparition sous l'Empire, mais Napoléon aimait trop l'alignement pour tolérer semblable désordre...

Cependant, le petites boutiques du jour de l'an avaient la vie dure. Elles revinrent en 1815, sur le Pont-Neuf, disparurent en 1829, renaquirent sur le Boulevard en 1830, s'évanouirent en 1836 pour revenir définitivement en 1852. En 1867, Haussmann essaya bien de leur donner un uniforme à raies blanches et vertes, mais ce fut sans succès. En 1870, elles vécurent des heures glorieuses en étant transformées en camps réservés aux mobiles.

Lorsque apparurent les chemins de fer, la grande vogue fut d'offrir un cadeau dit d'actualité :

"C'était, nous conte un contemporain, une table à thé ornée d'un chemin de fer sur lequel courait un petit wagon ; on le poussait légèrement et la tasse roulait jusqu'à vous ; quelquefois, elle arrivait vide et c'était bien heureux, cela valait mieux que de la recevoir tout entière sur vos genoux !"

L'époque romantique vit la vogue de la sucrerie. On choisissait un bouquet de fleurs des champs chez un confiseur, les coquelicots étaient des bonbons à la cerise, les épis des sucres d'orge.

La grande mode des étrennes de 1855, annonce la Presse, est de mêler aux bonbons qu'on donne les charmants billets à un franc de la Loterie Jeanne-d'Arc. On peut donner ainsi 60 000 francs à sa femme, à ses enfants, à ses amis, tout en leur offrant un sucre d'orge.

Voici quelques petites annonces, toujours extraites de la Presse, qui vous serviront peut-être pour l'an prochain...

Etrennes, Siège de Sébastopol. jeu de société franco-anglais. Plein d'actualité, amusant et intéressant à tout âge. Jeu ordinaire : 6 francs. Jeu riche : 12 francs.

Poupée nouvelle en matière flexible, dite poupée américaine, simple, charmante, résistant par sa nature même aux chocs. 14, 15 et 20 francs.

Joli cartonnage de parfumerie, 14 francs. Frais et solide. C'est encore la recherche de la toilette et c'est le cadeau de petite importance à la hauteur d'une jeune personne, heureuse de cette promesse de bonne coquetterie.

Chez Bertrand, fournisseur breveté de la princesse Mathilde : bonbons Hortensias (en souvenir de la mère de l'empereur), les Joséphines (à cause de sa grand-mère), les Mathildes, les boules à l'impératrice et des petits pains orientaux brevetés. Boîte en cachemire fourrée de marrons glacés : 3 francs 50.

A la campagne, la veille du 1er janvier, les jeunes gens partaient en bande et chantaient devant les maisons :

Donnez-nous nos Raginettes.
Dans le panier que nous avons.
Soit un morceau de galette
Ou un morceau de jambon.

On donnait aux jeunes filles en âge de se marier une branche de houx ornée d'une faveur rouge. Cela voulait dire : "Prenez garde au mariage. Qui s'y frotte s'y pique!".

En Basse-Normandie, on ne se mettait pas en frais d'imagination. Les filles recevaient une crèche, les garçons une bergerie.

En Nouvelle-Calédonie, le dernier jour de l'année, les mères offraient à leur fils, en guise d'étrennes, une jeune fille qu'ils devaient épouser... jusqu'au lendemain matin seulement. Le 1er janvier, à midi, on servait la jeune épousée en ragoût ou à la broche à son époux qui, bien entendu, invitait, ce jour-là, quelques amis pour "déjeuner en famille".

Je ne voudrais pas vous laisser sur cette mauvaise impression; aussi, en cette époque de voeux, puis-je me permettre de souhaiter que ne soit pas gravé sur votre tombe ce quatrain que l'on peut lire, dit-on, au cimetière de Rennes :

ci-gît, dessous ce marbre blanc,
Le plus avare homme de Rennes.
Et s'il est mort le jour de l'an.
C'est pour ne pas donner d'étrennes.

André Castelot