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Jean Arthur Belloni
1896-1947

Jean Arthur Belloni, dit « Raymond », est né le 21 décembre 1896 à Monclar d’Agenais (Lot-et-Garonne). Son père est Michel Belloni, coiffeur, et sa mère Anne David, tailleuse de robes. Il reprend le métier de sa mère, et devient tailleur d’habits (salarié chez Mr Galinou). Il n’est pas mobilisable en 1914 à cause d’une infirmité.

Le 10 janvier 1920, il épouse Marguerite Adrienne Varlot, une réfugiée d’Amiens, avec laquelle il a une fille, Jeannine, née le 30 avril 1926. Ils habitent alors à Villeneuve-sur-Lot. Dans les années trente, il travaille à domicile pour Mr Caminade, grand couturier de Villeneuve. Dans les années 1920, Jean Belloni est trésorier de la cellule et du rayon communiste de Villeneuve-sur-Lot et de la société sportive « Avant-garde Villeneuvoise ».


Anne David, Jean Belloni, Michel Belloni
Marguerite Belloni et sur ses genoux Jeanine
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Mariage de Marguerite Varlot et jean Belloni
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Jean Belloni et sa fille Jeanine
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Dès 1940, il s’engage dans la lutte clandestine en distribuant des exemplaires de l’Humanité clandestine. Le groupe de résistants auquel il appartient comprend son ami Gaston Cavaillé ainsi que Germain Marlas, Oswald Demeurs et Jean Delrieu. En mai 1941, suite à la diffusion d’un numéro de l’Humanité portant des accusations à l’encontre du Commissaire de police de Villeneuve, une enquête judiciaire est ouverte. Le 15 juin 1941, à la suite d’une dénonciation, la gendarmerie de Villeneuve interpelle Jean Belloni et ses quatre camarades. Il est écroué sur le champ à la prison départementale d’Agen (La dépêche, 21 juin 1941).

Déclaration de Gaston Cavaillé et Irénée Marlas, vice-présidents de la Fédération des Déportés et Internés Patriotes : « Nous attestons que Monsieur Belloni Jean Arthur, a été arrêté le 15 juin 1941 pour distribution de tracts incitant les paysans à ne pas livrer leurs produits aux réquisitions allemandes et appelant les populations à la résistance contre l’occupant ».

Il comparaît le 21 juin 1941 devant le Tribunal de Première Instance d’Agen puis est interné du 15 au 18 septembre 1941 à la prison de Toulouse. Il est présenté le 27 septembre devant le Tribunal militaire de Toulouse qui le condamne à cinq ans de travaux forcés le 6 novembre 1941 pour activité communiste.

Témoignage de Jean Belloni : « Arrêter le dimanche 15 juin à 2h l’après midi. Coucher en cellule gendarmerie Villeneuve. Lundi 16 juin emmener à la maison d’arrêt d’Agen 44 rue Montaigne (Lot et Garonne). Mardi 17 juin : devant le juge d’instruction. Lundi 15 septembre : transférer à la maison d’arrêt de Toulouse 18 bis Grande Rue St Michel : quartier IV cellule 3 (Haute Garonne). Samedi 27 septembre : passer à l’instruction, parti à 2h revenu à 7h. Jeudi 6 novembre : passer en jugement le matin à 9h fini midi et demi, condamné à 5 ans de travaux forcés et à la dégradation civique. ».

Il se retrouve donc successivement dans les prisons d’Agen, de Toulouse, de Tarbes (arrivée le 8 décembre 1942) et enfin d’Eysses (15 octobre 1943). Durant son incarcération, il continue son métier de tailleur d’habits.

Témoignage de sa fille, Jeannine, à propos de son transfert de Toulouse à Tarbes : « Le 8 décembre 1942, papa retrouve Tonton [Gaston Cavaillé], ils sont dix à partir pour Tarbes à 6 heures du matin dans une voiture cellulaire, chacun dans sa cellule, les deux mains prisent dans des menottes. Ils ont eu pitié de papa (étant infirme) et ne l’ont pas attaché. Ils sont arrivés à la prison de Tarbes à 9 heures ».

C’est à Tarbes qu’il revoit sa fille pour la première fois depuis quinze mois.

Témoignage de sa fille à propos de son transfert de Tarbes à Eysses : « Le 15 octobre 1943, Papa et ses compagnons ont quittés Tarbes avec un peu de regret car le directeur et les gardiens y étaient très gentils, ils savaient ce qu’ils quittaient, mais ignoraient ce qu’ils allaient trouver, mais content de se retrouver chez eux. Ils sont arrivés escortés de camions, enchaînés, et en chantant « la Marseillaise », devant et derrière la voiture, des camions de gardes avec fusil, revolvers et mitrailleuse ».


Prison de Tarbes - 1942
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La centrale d'Eysses
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Témoignage de Jean Belloni à propos de son transfert à Eysses : « Vendredi 15 octobre 1943. Ce matin départ 7 heures transférer à la centrale d’Eysses. On nous a averti hier à 2h.(...)J’étais très heureux d’aller chez moi car là au moins je pourrais voir ma chère Margot et Jeannine chérie une fois par semaine.(...)Donc ce matin 6h30 debout les gendarmes, gardes mobiles sont déjà là. Rassemblement dans le hall, menottes aux mains, fer au pied, bien entendu pas moi, avant de laisser cette prison, 25 voix communistes s’élèvent au chant de la Marseillaise, les gardiens se sont mis au garde à vous, et la police à solde de Pétain et Laval ne disait rien. Nous sommes montés dans la voiture cellulaire et nous sommes partis bien escorté. D’abord devant nous une camionnette pleine de gardes, ensuite venait notre belle voiture, après un camion plein de gardes et un autre avec fusils et mitrailleuses sur le toit. Le beau cortège s’est ébranlé. Une seule voiture représentait les vrais Français, c’est à dire nous les bagnards qui avons eu le courage de lutter pour chasser à la fois l’envahisseur et pour abattre le fascisme français, il va sans dire que dans les rues de Tarbes et dans tous le parcours nous avons chanter et crier nos mots d’ordre. A Villeneuve la même chose, arriver à la centrale on nous a passer au douche habillé, et couper les cheveux. ».

Il travaille un peu dans un atelier à la centrale, mais comme il avait des escaliers à monter plusieurs fois par jour, il arrête. Souffrant des pieds, il rentre à l’infirmerie. Il peut enfin voir sa femme et sa fille sans grilles interposées.


X, Jean Belloni, Marguerite Belloni, Jeanine Belloni, Georges Lapeyre
Eysses 1944

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Jean Belloni
Eysses 1944

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Une insurrection éclate à la centrale le 19 février 1944 et se poursuit jusqu’au 23 février. Les miliciens n’arrivent pas à venir à bout des révoltés, qui, bien que mal armés, tiennent tête avec patriotisme. Les miliciens font alors appel aux gardes mobiles (GMR) puis aux Allemands. L’insurrection est stoppée par l’intervention de la division Das Reich. Le 23, Darnand vient en personne voir les mutins et ordonne qu’on en fusille cinquante. Douze sont exécutés le jour même sur ordre de Vichy. Les autres, dont Jean Belloni, sont livrés aux SS et déportés à Dachau.

Témoignage de sa fille à propos de la déportation des patriotes d’Eysses à Dachau : « Le 30 mai de cette même année 1944, les patriotes d’Eysses sont livrés aux nazis, deux par deux, mains sur la tête, ils rejoignent la cour d’honneur. Ils sont fouillés, giflés, tapés à coup de pied pour la moindre photo, mouchoir ou objet trouvé sur eux. Ces mêmes soldats qui frappent à coup de crosse et de pied, mettront le sud-ouest à feu et à sang, déporteront tous les hommes de La Capelle Biron; ensuite pendront quatre vingt dix neufs martyrs à Tulle puis ce sera Oradour. Donc nos patriotes sont enchaînés en colonne. Il y en a qui vont monter dans des camions, les autres iront à pied, sept kilomètres pour aller à la guerre de Penne, les boches les faisait courir et si un tombait, ils le frappaient ou le tuaient. Comme je l’ai déjà dit papa était infirme, et la femme du directeur la fait monter dans un camion assis près du chauffeur, c’était étonnant de sa part vu qu’elle frappait ceux qui étaient par terre. Papa nous a raconté au retour de Dachau que quand il était dans le camion il s’est aperçu que les camions s’étaient trompés de route et qu’ils allaient droit dans le maquis, il n’a rien dit mais ils s’en sont aperçus et ont fait demi-tour. Il a dit j’aurais certainement été tué mais au moins mes copains auraient été sauvés car le maquis aurait tiré sur le chauffeur.(...). Ils arrivent à Penne et montent dans le train. Le maquis du bataillon Prosper est arrivé trop tard, le train est déjà parti. Ils sont dirigés sur le camp de Compiègne.(...). Ils arrivent à Compiègne le 3 juin et partent pour l’Allemagne le 17 juin, 100 par wagons à bestiaux avec une botte de paille, une grande tinette, pas d’eau, les vasistas fermés. Heureusement, la solidarité d’Eysses va se faire, ce qui leur permettra de tenir. Chacun a tour de rôle ira respirer un peu d’air. La discipline ayant fonctionné il n’y aura pas de victimes parmi les anciens d’Eysses. ».

A Dachau, il a le matricule 73070. C’est son métier qui lui permet d’échapper à la mort.
Témoignage de sa fille : « Pour papa, arrivé à Dachau, il a été sauvé par son métier, autrement c’était le four crématoire; il a travaillé dans les sous-sols et y a abîmé ses yeux. Ils cousaient les tenues rayées des déportés. ».

Témoignage de Jean Belloni, dans une lettre qu’il écrit à Dachau le 1er mai 1945, deux jours après la libération du camp : « Une fois de plus, mon métier m’a sauvé. J’étais au Commando des Tailleurs, c’était dur car on travaillait douze heures par jour, lever à 4h30 ce qui correspond à 3h30 en France, coucher à 9h. ».

Témoignage de Jean Belloni, dans une lettre qu’il écrit à Dachau, le 10 mai 1945: « Dans les prisons françaises, grâce à mon métier je n’ai pas trop souffert; ici mon métier m’a sauvé la vie car sans cela il y a déjà longtemps que je serai passé au four crématoire comme des milliers de Camarades qui y sont passer. ». Le camp est libéré le 29 avril 1945 par les Américains.

Témoignage de Jean Belloni : « Nous avons été libérés par les Américains le samedi 29 avril à 5h20 exactement l’après-midi, le premier soldat qui est rentré dans le camp était une femme, on l’a porté en triomphe, embrassé c’était du délire . » (Dachau, le 1er mai 1945).

Il est rapatrié de Dachau le 17 mai 1945.
Témoignage de sa fille : « Papa a été rapatrié à Paris à l’hôtel Lutétia qui avait été réquisitionné pour servir de centre d’accueil aux déportés qui revenaient d’Allemagne. On ne les gardait pas longtemps, ils repartaient chez eux, il fallait laisser la place aux autres. Et c’est le retour à Villeneuve; mes voisins, ma mère et moi avions mis des guirlandes devant la maison pour le recevoir; dans quel état il était, méconnaissable, un costume de gros drap gris, une casquette, et maigre à faire peur. »

 




Dachau
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Jean Belloni à son retour de Dachau
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Gaston Cavaillé et Jean Belloni
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Marlas, Belloni, Barrague, Cavaillé, Franchot
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Il s’intéresse immédiatement à l’avenir de son pays avant même de penser à son propre avenir et milite dans des associations d’anciens résistants, internés et déportés. Il reprend petit-à-petit des forces et du poids. Il est sollicité pour faire des vestons, mais il est trop tôt, il est encore faible, et il refuse.

Il part alors s’installer à Amiens avec sa femme et sa fille (« Je savais que le rêve de papa était Amiens »). C’est là qu’il cesse de participer à toutes les manifestations et cérémonies.
Témoignage de sa fille : « Donc nous nous sommes installés à Amiens, quand les voisins ont appris que papa revenait de déportation, ça a été un défilé pour lui parler pour qu’il raconte, ils voulaient faire des réunions où il serait le chef. Déjà à Villeneuve, à son retour, c’était pareil, d’ailleurs il y a une cellule communiste qui porte son nom. Je l’accompagnais et ensuite il y a moins été, il me disait ce n’est plus la même chose qu’avant la guerre, ce n’est plus la même mentalité, je ne les comprends plus, ils n’ont pas le même idéal que nous avions avant et Tonton disait pareil; et papa a laissé tomber, même à Amiens. »

Il reprend son métier de tailleur d’habits, ce métier qu’il aime tant et qui lui a sauvé la vie. Il travaille chez lui avec sa femme et sa fille. Ils travaillent pour la société Brehier Vêtements.

Il décède chez lui, dans son lit, le 10 août 1947, des suites de sa déportation.
Témoignage de sa fille : « Ce jour-là tout allait bien, papa écoutait au poste (tsf) « poil de carotte », quand ça a été fini, il est monté se coucher, et comme le lendemain je devais aller à la campagne avec ma tante pour chercher du ravitaillement (c’était encore dur en 1947) nous devions partir assez tôt pour prendre un autobus. Papa depuis sa chambre m’a appelé pour me demander à quelle heure il fallait mettre le réveil a sonné, je le lui ait dit, et quand maman est monté une demi-heure plus tard, il était mort. Moi qui adorait mon père, j’ai vomi. Papa avait trop souffert, le coeur était devenu très gros et il a éclaté; après on nous a dit, si vous étiez resté à Villeneuve, ça ne serait pas arrivé, c’est possible, mais le pauvre il avait tellement souffert pendant quatre ans. Il révait de vivre où était née sa femme, elle lui parlait sans cesse d’Amiens et des hortillons. »

La mention « Mort pour la France » a été inscrite en marge de son acte de décès le 11 avril 1949. Le titre de déporté résistant lui a été attribué à titre posthume par décision en date du 4 février 1986. En 2005 (!), son nom a été ajouté sur le monument aux morts de Monclar.


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Sources : Archives départementales du Lot-et-Garonne, 1W192 – Archives de la justice militaire, Le Blanc – Bureau Résistance, Vincennes (dossier nominatif) – Bureau des mentions, Val de Fontenay (dossier nominatif) – « Mémoires » de Jean Belloni, 1941-1943 – Témoignage de Jeannine Lapeyre née Belloni, 1990 – Témoignage de Marguerite Belloni, 1994 – Archives de l’Association Généalogique des Familles Bourrée et Lapeyre (AGFBL) – Archives de l’Amicale d’Eysses et de l’Amicale des anciens de Dachau.