De la chandelle à la lanterne
La débauche de nos éclairages modernes dans les rues ou dans les foyers frapperait de stupeur nos ancêtres.
Comment ceux-ci s'éclairaient-ils ?
Maurice et Paulette Déribéré, qui ont longuement étudié la Préhistoire et l'histoire de la lumière (France-Empire), évoquent au cours des premiers âges, la lutte contre l'obscurité.
Il est généralement admis que ce sont les Celtes, à une époque au demeurant indéterminée, qui inventèrent la chandelle que connurent les Gaulois. Ce n'était à l'origine qu'une simple mèche de filasse enduite de suif de mouton.
Il ne s'agissait que d'une transposition miniaturisée et simpliste de la torche, mais sur le plan technologique il s'agissait d'une découverte importante dans l'histoire de l'humanité car c'était, par rapport à la lampe à huile, un moyen plus commode et moins périlleux de transporter la lumière et de la placer en des lieux déterminés par l'intérêt que l'on y trouvait sur le plan de la vision des objets.
Au combustible solide, c'était l'essentiel, car du côté de la flamme et de son pouvoir éclairant bien médiocre, les choses n'avaient pas changé.
Les Romains connurent et perfectionnèrent la chandelle et surent l'obtenir par coulée de suif de mouton particulièrement bien adapté à cet usage, dans des moules cylindriques où était tendue au centre la tresse de coton ou de lin qui serait la mèche.
Il firent par le même moyen des chandelles ou cierges de cire, réservés aux temples ou aux palais et considérés comme étant de grand luxe. Déjà les Etrusques avaient utilisé des chandelles et conçu pour eux des pieds lampadaires.
Plus tard l'église chrétienne reprit le cierge en le réservant aux grandes cérémonies, tel le "Cierge Pascal".
La chandelle va faire tôt son apparition dans l'éclairage public; on sait comment avait été réalisé, aux torches-flambeaux, l'éclairage de la grande avenue du port à Ephèse, mais le premier essai d'éclairage public aux chandelles se situe à Antioche (Syrie), en l'an 400. La "Superbe Avenue Blanche" fut équipée d'un alignement de lampes contenant des chandelles faites de filasse enrobée de cire et de poix, et suspendues dans l'axe des voies principales au moyen de cordes tendues.
Dans le domaine religieux les cérémonies du "Cierge Pascal" remontent au IVe siècle. Au Moyen Age la cire, précieuse, qui restait de celui qui avait été allumé à Saint-Pierre-de-Rome, était coulée dans des moules imitant la forme de sceaux; ceux-ci, soigneusement polychromés et montés dans des pièces d'orfèvrerie, étaient offerts aux grands personnages. Les plus belles de ces pièces datent du XIIe siècle.
C'était le temps où l'on brûlait dans les sanctuaires, en temps de calamité, une mèche enduite de cire et enroulée dans un cylindre de bois. Souvent on lui donnait une longueur égale au périmètre de la cité qu'il était en vue de préserver. Ainsi, en 1367, les Parisiens offrirent à la Vierge, lors d'une épidémie de peste, une chandelle assez longue pour faire le tour de Paris; le don de cette chandelle devait être renouvelé chaque année, mais on lui substitua ensuite une lampe en argent qui brûla en permanence dans le sanctuaire de Notre-Dame de Paris et qui fut, de fait, entretenue jusqu'à la Révolution.
Le cierge en cire, comme à Rome, fut d'abord réservé aux cérémonies religieuses. Philippe le Bel sanctionna encore cet usage mais permit aussi aux nobles, qui ne s'en firent pas faute, de l'utiliser dans les grandes occasions.
Pour porter les chandelles, comme l'avaient fait les Etrusques, on réalisa des lampadaires et des candélabres, dont certains étaient de véritables objets d'art. Dans les églises ce furent des "bougeoirs"; dans les châteaux l'on se livra à beaucoup de fantaisie; l'élément actif étant à peu près toujours le même; c'est en effet dans le support, que l'on pouvait faire oeuvre créative ou recherche esthétique. Il fut fait par exemple de curieux candélabres avec des ramures de cerfs, selon une idée sans doute germanique à l'origine.
Quant à la chandelle proprement dite, elle n'était pas bien difficile à fabriquer, surtout lorsqu'on eut réservé le moulage aux objets de luxe et qu'on eut appris à fabriquer les chandelles courantes à la baguette, c'est-à-dire par immersion des mèches de coton tressé dans du suif fondu, suivie d'un roulage sur une surface lisse telle qu'un marbre.
La chandelle remplaça alors la lampe à huile dans les lieux où l'on avait du mal à se procurer de l'huile et dans les temps troublés où il était plus facile de courir aux souterrains-refuges, lors des incursions de gens d'armes, avec une chandelle qu'avec une lampe à combustible liquide qui pouvait s'épandre.
En France, c'étaient les bouchers qui fondaient eux-mêmes les graisses et qui, avec ce suif, fabriquaient les chandelles. Une corporation des chandeliers fut créée vers 1016, sous le roi Philippe 1er, mais c'est seulement en 1470 que cette corporation fut régularisée et véritablement bien organisée.
La chandelle s'utilisait dans les chandeliers, ou porte-chandelles, les bougeoirs, qui étaient de petits chandeliers, à anse, les candélabres qui étaient de grands chandeliers monumentaux, souvent à plusieurs becs; certains étaient culturels comme le célèbre chandelier à sept branches des synagogues.
La corporation des lanterniers répondait à des statuts sévères, les membres se défendaient expressément de mettre "de la corne sur un bois de vieille lanterne à moins que ce soit à la demande d'un bourgeois qui donne sa vieille lampe à réparer"; ils ne pouvaient ouvrir leur atelier la nuit.
La lanterne qu'ils fabriquent est un simple vaisseau circulaire à carcasse de bois ou de métal dans lequel "la lumière est à l'abri du vent au moyen d'une matière aussi transparente que possible : toile déliée, talc, vessie de porc ou parchemin". Plus tard les lanterniers seront nommés peigniers-tablettiers, en raison de l'emploi qu'ils font aussi de minces tablettes de corne ou d'ivoire. En 1507 les uns s'unissent aux ferblantiers et font leur lanterne en fer blanc, d'autres qui la construisent en fonte et papier sont les dominotiers; la plupart qui font toujours les carcasses de bois s'unissent aux boisseliers, escurelliers et souffliers.
Ce n'est qu'à la fin du XVIe siècle que paraît la verre pour fermer la lanterne, ce qui ressort d'un acte du 8 Octobre 1599 concernant un certain Jehan Destoile, maître vitrier à Paris qui livre des verres pour les lanternes du quartier de la place Maubert à Paris.
Les lanterniers avaient pour patron Saint Clair qui figurait sur les jetons de plomb de leur corporation. Ils étaient tenus pour un corps de métier des plus utiles à la société.
Dans les lanternes se consumait la chandelle. Le chandelier parcourait les rues pour vendre sa marchandise en jetant son cri :
"Chandoile de coton, chandoile
Qui plusard cler que numé estoile !"
S'il mêlait de la graisse de porc, ou rogaton à son suif il était passible d'une amende de cinq sols que lui infligeaient les quatre Jurés de sa corporation.
C'est dans l'Exode (chap. 25, V. 31) que l'on trouve le descriptif du chandelier à sept branches que Yahvé commanda de faire à Moïse : "Tu feras un chandelier d'or pur; ce chandelier sera fait d'or battu; son pied, sa tige, ses calices, ses pommes et ses fleurs seront d'une même pièce ..."
Ceci montre bien que déjà la technique de fabrication des luminaires portant les chandelles de suif était avancée, mais qu'elle était sans doute réservée au rituel des temples ou peut-être aussi au luxe des palais, cependant que le commun employait la lampe à huile.
Le chandelier à sept branches enlevé par Titus au temple de Jérusalem est bien connu par la figuration qui en est donnée sur l'Arc de Titus de Rome.
Il est de ces lampes rituelles, souvent très belles, dans tous les musées juifs et dans les synagogues ou leurs trésors. C'est devenu un symbole et à Jérusalem un monument représente un immense chandelier à sept branches. La fête de Hanoukka (fête des lumières) en renouvelle toujours le rituel avec les lampes qui sont alors à huit branches.
Ce que furent les premières lanternes, ancêtres des appareils d'éclairages, nous est mal connu. La première mention en est sans doute celle d'un combat de Gédéon que l'on trouve dans la bible : Juges, 7616.
Gédéon attaquant le camp des Madianites de nuit - ce qui était très exceptionnel car les ténèbres, en général craintes par les uns et les autres, étaient associées à la trêve dans les combats - "choisit trois cents hommes parmi les meilleurs de ses hommes et il leur remit à tous des trompettes et des cruches, avec des flambeaux dans les cruches."
Les flambeaux étaient sans doute, comme cela se faisait alors, des faisceaux de bâtonnets de bois enduits de poix; quant aux cruches, elles faisaient office de "lanternes sourdes" contenant de petits flambeaux.
En effet le texte nous indique que Gédéon avait donné pour instruction de casser les cruches au moment convenu, de saisir le flambeau, de crier et de sonner de la trompette en fondant sur l'ennemi, tactique qui du reste eut plein succès. Les "cruches de Gédéon" furent non seulement les premières lanternes citées dans un texte, mais aussi la première utilisation guerrière de l'éclairage.
Il faut ensuite attendre le monde grec pour trouver un type de véritable lanterne qui allait offrir à la chandelle ses réelles possibilités. C'était une enveloppe de métal pourvue d'une lame transparente de corne et renfermant une chandelle ou une lampe à huile. Les lanternes se fabriquaient chez les peigniers-tablettiers car eux seuls disposaient du privilège de travailler la corne.
C'est la lanterne donc, mais aussi les connaissances meilleures des principes scientifiques, qui allaient développer l'une des applications les plus caractéristiques de l'éclairage : celui des rues.
L'obscurantisme de notre Moyen Age sur le plan des sciences, fait certes contraste avec la qualité des travaux arabes des siècles qui le précèdent comme de ceux qui se poursuivirent alors dans le même temps au Moyen-Orient.. De distingués ophtalmologistes se préoccupent de la vision comme Avicenne de la médecine, tandis que Al Hazen se manifestait par ses travaux où la lumière n'était pas oubliée; cela se passait vers l'an 1000 où l'Occident vivait dans la terreur stérile de quelque fin du monde.
En 1250 cependant Roger Bacon, franciscain anglais, se livre en ses études scientifiques et philosophiques à un examen minutieux de la lumière; il insiste sur la valeur de l'expérimentation qui devait devenir l'élément essentiel du raisonnement scientifique.
C'est à cette époque, en 1258, sous Saint Louis, que le prévôt de Paris, Etienne Boylesve, fait ordonnance que "chaque propriétaire ait à éclairer sa façade à l'aide d'un pot-à-feu sous peine, pour tout contrevenant, d'amende et de peine de prison".
Malgré ces menaces cette ordonnance fut suivie de bien peu d'effet. En 1314, sous Philippe le Bel, Paris n'a, la nuit, que trois lumières allumées : une sous la voûte du Grand Châtelet, qui y avait été suspendue vers l'an 1300, une à la tour de Nesles et une au cimetière des Innocents pour maintenir la tradition bien observée dans le centre ouest de la France des lanternes des morts qui veillaient dans bien des cimetières sur le repos des défunts.
Sous Charles V, en 1367, une ordonnance décrète obligation d'un éclairage public à Paris, telle ordonnance ne sera faite à Londres qu'au XVIIe siècle : d'aucuns pensent que la désignation de "Paris ville lumière" naquit à l'origine de cette ordonnance, mais celle-ci encore, ne fut guère suivie.
Sous Louis XI (1461-1483), un bon siècle plus tard, le prévôt fait encore commandement aux Parisiens, par ordre du roi "d'avoir armures dans leur maisons, de faire le guet dessus les murailles, de mettre flambeaux ardents et lanternes aux carrefours des rues et aux fenêtres des maisons".
Mais en ce temps-là le guet se promenait de loin en loin en faisant beaucoup de bruit pour bien prévenir les voleurs d'avoir à s'effacer un court instant devant eux, car les détrousseurs étaient la nuit les maîtres de la ville, les rues étroites étaient de véritables coupe-gorges et le guet lui-même, parfois attaqué, avait grand peur.
Il y aura encore des ordonnances du même genre sous Louis XII, François 1er, Henri II, mais ce n'est qu'à partir de 1524 que commencèrent les premiers essais sérieux d'éclairage public à Paris et ce n'est que l'ordonnance de 1558, sous Henri II, qu'ils donnèrent lieu à réelle application.
Par Maurice et Paulette Déribéré
(France Empire, Historama)