Chapitre 3 : De 1945 à 1978,Villeneuve, Amiens, Versailles
1 - Dachau, la libération des camps, le retour
J’ai été surveillante au camp de Carrère, qui dépendait de la Centrale d’Eysses. Je gardais les prisonnières et à la libération les femmes des collaborateurs, de miliciens, etc., Il y avait le camp des hommes et celui des femmes. Le travail était moins pénible qu’à la Coplot. Par contre pour Raymond les choses ne s’arrangent pas. Comme représailles à cette révolte, les prisonniers vont être déportés à Dachau. C’est son métier qui lui permet d’échapper à la mort. Les courriers sont rares, nous restons très longtemps sans nouvelle. Le camp est libéré le 29 avril 1945 par les Américains. Il sera rapatrié de Dachau le 17 mai 1945. Il s’intéresse immédiatement à l’avenir de son pays avant même de penser à son propre avenir et milite dans des associations d’anciens résistants, internés et déportés. Il reprend petit à petit des forces et du poids. Il est sollicité pour faire des vestons, mais il est trop tôt, il est encore faible, et il refuse. Ma tante Marguerite et la famille Blondot sont venus d’Amiens pour fêter avec nous, le retour de Dachau, de Raymond. Ma tante Marguerite a voulut que nous partions habiter à Amiens, soi-disant que ce qu’elle avait, tout serait pour nous, que nous étions ses héritiers. J’avais les meubles qui venaient de mes beaux-parents. J’ai tout vendu, sauf la machine à coudre de Raymond, un vélo et le linge. Et là, nous sommes partis pour Amiens. Surprise, à notre arrivée, il n’y avait rien, seulement une chambre. Ma tante m’avait fait tout vendre, aussi arrivé là-bas, pour nous coucher le soir j’ai été obligé de racheter un lit chez un brocanteur. Paulette Déjean, peut encore le dire, ce n’est pas moi qui voulais aller vivre à Amiens. On pourrait dire, que je prévoyais ce qui allait arriver, ce que j’allais devenir. J’allais souvent chez Paulette où je pleurais, tous les jours avant le départ pour Amiens en 1945. Mon ancien patron Monsieur Lafitte à fait venir une machine à coudre au tarif industriel pour me donner des sandales à piquer. Raymond reprend son métier de tailleur d’habits, ce métier qu’il aime tant et qui lui a sauvé la vie. De 1945 jusqu’en 1947, nous travaillons tous les trois, Raymond, Jeannine et moi, pour la société Brehier Vêtements. Maurice Blondot se souvient : « Je me souviens bien de Raymond c’était une personne très douce, mais passionné, qui aimait son métier et la France. Il travaillait assis en tailleur sur une table comme le faisait les gens de cette profession autrefois. » Et, malheureusement, c’est là que mon époux est décédé. Un soir, il a dit bonsoir à sa fille et il est monté dans notre chambre pour se coucher. Lorsque je l’ai rejoint une heure plus tard, je l’ai trouvé mort dans son lit. Il avait trop souffert pendant sa déportation et son cœur n’a pas tenu. Sa tombe se trouve au cimetière de la Madeleine non loin de celle de Jules Vernes. Votre grand-père lors de ses obsèques à eut droit aux honneurs de la France, il avait le drapeau bleu, blanc, rouge, sur son cercueil. La mention « Mort pour la France » lui fut accordée par le Ministère des Anciens combattants le 11 avril 1949. Ma tante Marguerite ayant peur de se retrouver seule, après le mariage de Jeannine s’est mariée elle aussi. Elle a épousé un homme veuf Ernest Dauteville, qui fut ton parrain Nicole. Qu’est-ce qu’il a pu nous en faire voir ! Il était très méchant et il buvait. Quand mon mari est mort en 1947, j’ai été obligé de me placer comme bonne ou femme de ménage, dans une menuiserie, rue du Vivier, à gauche de la gare. Aussi en allant faire les courses, j’ai vu tous les jours la construction de la tour Perret. En 1948, je trouve une place d’ouvrière pour l’entreprise Louria à Amiens. Puis avec ma fille, nous faisons de la couture à domicile pour la société EMC.
2 - 1948, le mariage de mes parents
Ma fille s’est mariée à Amiens, à l’hôtel de ville et à l’église Jeanne d’Arc le 27 novembre 1948. Tout cela vers le quartier saint Roch, car nous habitions avec ma tante rue du Général Friand. J’avais emprunté de l’argent, afin de payer la noce de ma fille, à un couple de déportés, où ma grand-mère allait faire des lessives. Il faut dire que la famille de mon gendre ne payait rien pour le mariage de leur fils. Nous n’avons vu que Claude le frère de Georges. J’ai remboursé ces gens, et le reçu est toujours dans mes papiers. Après son mariage, ma fille est partie vivre à Versailles, avec son mari, qui était militaire de carrière. Une amie lui avait prêté la robe de mariée et une veste de fourrure. Je me souviens que le jour de son mariage, à l’hôtel de Ville, il y avait plein de drapeaux, je n’arrive pas à me souvenir la raison, peut être la visite des chefs d’états étrangers. Du 6 décembre 1948 au 6 septembre 1949, je travaille comme ouvrière à la menuiserie Saint-Omer à Amiens.
3 - 1949, la naissance de mon frère, 1952 ma naissance
Je n’ai pas vu la fin de la construction de la tour Perret, car mon gendre partait en Indochine et m’a demandé de venir à Versailles, près de ma fille et de mon petit-fils qui avait deux mois et demi. C’était au quartier de la Reine, rue Carnot. En apprenant le départ de son mari, ma fille est tombée bien malade. C’est moi qui l’ai soigné et qui me suit occupé du bébé. J’avais beaucoup de peine de penser que ma fille allait souffrir pour mettre son bébé au monde. Nous n’avons pas pu voir Jean Paul tout de suite. Il avait été piqué par un insecte et la piqûre avait provoqué un abcès aussi nous ne pouvions l’apercevoir qu’au travers d’une vitre. En plus, ma fille à fait un abcès au sein qui lui a provoqué beaucoup de fièvre et qui l’a fait beaucoup souffrir. Aussi en 1952, quand elle t’a eu, Nicole, j’étais très inquiète et choquée, je ne voulais pas qu’elle souffre de nouveau. Mais quand le portier est venu nous annoncer à ton père et à moi que c’était une petite fille, je peux te jurer, que nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre en pleurant de joie. , et moi heureuse que l’accouchement se soit bien passé. Pendant que mon gendre était en Indochine, ma fille est tombée bien malade. C’est moi qui l’ai soigné tout le temps de sa maladie. C’est Stéphanie Gillot, ta marraine Nicole, qui allait vous promener ainsi que le parrain de Jean Paul Eugène Cuénot. A partir du 21 octobre 1950, je travaille pour la Chemiserie Bour à Versailles, en qualité d’ouvrière. Plus tard, Mme Bour me garde comme bonne et comme dame de compagnie. J’y suis restée jusqu’à ma retraite en 1965. J’avais alors 66 ans.
4 - 1955, Fontenay le Fleury dans les Yvelines
En 1955, Jeannine et Georges décident d’acheter une maison. Une société immobilière créée par des militaires fait construire des pavillons à Fontenay le Fleury, dans le département des Yvelines. Comme j’habite toujours avec mes enfants, je donne de l’argent afin qu’ils prennent une maison plus grande, avec une chambre pour moi. C’est ce qu’ils ont fait. C’était une grande maison jumelée avec quatre chambres et une salle de bain à l’étage, une cuisine, W-C, salle a manger en bas. Je leur ai toujours donné de l’argent pour les aider à vivre et que leurs enfants ne manquent de rien. Gaston Cavaillé aussi les a beaucoup aidé financièrement. Une année il leur a payé une voiture. Les habitants de la rue Hélène Boucher, se connaissaient tous, au fil des années, ils s’étaient tous liés d’amitiés et les enfants formaient une joyeuse bande. J’allais chez les voisins, pour les communions, aider à servir à table, faire la vaisselle. Souvent aussi je gardais les enfants de la famille Descombes, je faisais un peu de repassage. J’avais l’amitié, la confiance de tous les voisins. Je reçois toujours des nouvelles des familles Descombes et Robbe (1).
5 - Avril 1972, le mariage de mon frère
Mon petit-fils s’est marié avec Mireille, le 29 avril 1972 à la mairie des Clayes et à l’église de Fontenay. Ils ont d’abord eu un fils Christophe, né le 24 juin 1973, c’est mon premier petit-fils. Ensuite une petite fille est venue agrandir la famille, Valérie, elle est le 22 janvier 1975, mais elle est décédée à neuf mois et c’est en janvier 1977 que Marylène est née. Ils ont acheté une maison à Elancourt. Quand Alexandra est née, j’étais depuis longtemps au foyer de l’Automne. J’ai du la voir une ou deux fois.
Le 30 juin 1973, c’est le mariage de ma petite-fille avec Alain. Fabrice va naître le 20 novembre 1974. En 1975, il achète une maison à Beynes, et le 16 février 1978 c’est Delphine qui va voir le jour.
7 - Juillet 1978, retour à Villeneuve sur Lot
En juillet 1978, j’ai décidé, de rentrer au foyer de l’automne, maison de retraite de Villeneuve. Cette année là, je venais d’être arrière-grand-mère pour la cinquième fois. Là, j’ai enfin un chez moi, que je n’ai pour ainsi dire jamais eu, car j’ai toujours travaillé chez les autres. Ici, je me sens bien, je rends service à tous. Je suis la patronne de la lingerie, pour les hommes d’abord et également pour les femmes maintenant. Je marque le linge aux initiales de la maison de retraite et je le distribue. Les années se sont écoulées. Je n’ai pas trop à me plaindre de ma santé. J’aide également les employés à faire la vaisselle ou je fais les courses pour les pensionnaires non valides. Mon petit-fils Jean-Paul, il y a bien longtemps qu’il ne me donne plus de ses nouvelles et qu’il ne s’inquiète plus pour moi. Maintenant ma fille est décédée, heureusement que j’ai ma petite fille Nicole et son mari Alain, ainsi que leurs deux enfants Fabrice et Delphine. Je ne vie que par eux, à travers eux. J’attends avec impatience un courrier ou un coup de téléphone venant de chez eux. Je passe mes journées à somnoler, à rêvasser et me remémorer le passé, je ne voie que les quatre murs de ma chambre, les journées sont longues. »
(1) A cette époque Mamie voyageait beaucoup, elle allait à Amiens chez son oncle Georges ou à Denain rendre visite à sa soeur Henriette. Elle était souvent à Villeneuve pour aider Gaston et Marcelle Cavaillé aux travaux des champs, ils étaient maraîchers. Avec les déportés elle a fait de nombreux voyages.