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Extrait des mémoires de ma mère Jeanine Belloni (1926-1994)
épouse de Georges Lapeyre (1924-1984)

…..le samedi 14 juin 1941, j'avais 15 ans, Marraine (Marcelle Cavaillé) vient nous dire que Tonton (François Cavaillé dit Gaston) venait d'être arrêté. Aussi c'est sans surprise que le dimanche 15 nous avons vu arriver deux gendarmes, qui ont dit à mon père (Jean Arthur Belloni dit Raymond) , "suivez-nous à la gendarmerie"; arrestation aussi ce jour là de Marlas Irénée. Ils ont été passés à tabac par des "Français". Je n'ai revu mon père que quinze mois plus tard, à la prison de Tarbes. Arrêté le 15, envoyé le lendemain 16 à la prison d'Agen, en cellule avec des droits communs.

Les faits furent relatés dans le journal " la gendarmerie après une perquisition en règle aux foyers de Cavaillé, Belloni, Marlas, ont trouvé des tracts, et ont procédé à l'arrestation de trois terroristes et de leurs complices, Demeurs, Delrieux" etc..

Les gendarmes n'ont rien pu trouver pour la bonne raison qu'ils n'ont pas perquisitionné.

Nous n'avons pas dormi de la nuit, ma cousine Marie Louise Bouchou est restée avec nous. Le pire c'est que le lundi 16 juin, je devais passer le certificat d'études. Ma mère (Marguerite Belloni née Varlot dite Margot) et ma cousine ne voulaient pas que j'y aille disant que je ne pourrais pas réussir, ni rien faire de bon. Je leur ai dit "Papa était si fier que je passe cet examen, donc je vais le passer, et je vous assure que je serais reçue, je ferais tout pour cela"...et… je l'ai eu ce certificat d'études.

Mon père est resté à la prison d'Agen jusqu'au 15 septembre, date à laquelle il a été transféré à la maison d'arrêt de Toulouse. Le 27 septembre, il est passé à l'instruction, le 20 octobre il est mis en cellule avec Tonton (Gaston Cavaillé) et le pépé Delrieux. Le 6 novembre il passe en jugement, il est condamné à cinq ans de travaux forcés et à la dégradation civique .. Là il est encore séparé de Tonton mais se retrouve avec Marlas. Le 8 décembre, Papa retrouve Tonton, ils sont dix à partir pour Tarbes.

Papa, Tonton, et sans doute les autres aussi, avaient comme avocat Jacques Bordeneuve. C'est par son intermédiaire que nous avions des nouvelles chaque fois qu'il allait les voir. Il téléphonait au café de "Nanon" (amie de la famille). Il n'y avait pas le téléphone comme à présent.

A Tarbes, Papa s'est retrouvé dans la même cellule que Tonton. C'est là quinze mois après son arrestation que j'ai enfin pu revoir mon père le 23 septembre 1942.

Quand Papa était interné, on pouvait lui écrire mais un nombre limité de lettre par mois. Tout le courrier était ouvert, les lettres qu'il écrivait comme les lettres qu'il recevait. Il fallait donc faire attention à ce que l'on écrivait, autrement elles étaient censurées ou détruites. Mais on s'arrangeait pour faire parvenir des messages, par l'intermédiaire des gardiens sur qui on pouvait compter. Je me souviens avoir écrit un message sur du papier assez fin, d'une écriture fine, et je l'ai mis dans une noix que j'avais ouverte et vidée de son contenu, je l'avais ensuite recollée et remise au milieu d'une dizaine d'autre noix, et j'avais envoyé le tout avec d'autres choses dans un colis. Je ne sais plus comment je lui avais fait comprendre de garder les noix pour lui et de faire attention de ne pas se blesser en les ouvrant. Ce message il l'a bien reçu.

Le 15 octobre 1943, Papa et ses compagnons ont quittés Tarbes pour la centrale d' Eysses de Villeneuve. Ils sont arrivés escortés de camions, enchaînés, et en chantant la Marseillaise, ils étaient dans des voitures cellulaires, devant et derrière des camions de gardes avec fusils, revolvers et mitrailleuses.

Là, à la centrale vont se retrouver des détenus de plusieurs prisons, Limoges, Toulouse, Lyon…ils sont 1200. Il y a des curés, des gaullistes, des communistes,… tous ont le même idéal, lutter contre l'ennemi, libérer la France.

Le lendemain de leur arrivée, j'ai pu rendre visite à mon père. Nous pouvions lui porter à manger, il suffisait de remettre le panier au portier qui faisait le nécessaire. Ce portier sera amputé d'un bras, pendant la révolte. Je crois me souvenir que nous avions droit à une visite par semaine, le samedi et les jours de fête.

Papa, qui était couturier a travaillé un peu dans un atelier, puis comme il souffrait des pieds, il est rentré à l'infirmerie le 28 octobre. Je me souviens que Édouard Boisserie se trouvait à l'infirmerie, il a été très malade. Il a même subit une opération faite par le docteur Paul Weil.

Ce n'est pas tout de suite que nous avons pu voir Papa librement à l'infirmerie, pour le 1er novembre, nous l'avons vu, encore au parloir, derrière les grilles, c'est à dire, une grille devant nous, un petit couloir pour le gardien, une autre grille et Papa et les autres, car on est plusieurs, le temps est compté, et on ne s'entend pas, tout le monde parle fort et en même temps, c'est terrible, surtout que ce ne sont pas des voleurs, des assassins, mais des patriotes, des Français.

Ensuite, nous avons pu voir Papa librement à l'infirmerie, un gardien nous accompagnait, on traversait la cour d'honneur, un bâtiment, la chapelle, une petite cour et l'infirmerie. Papa était dans une petite chambre cellule, qui restait ouverte sauf la nuit.

Lorsque que je rendais visite à Papa, avec Maman, les autres détenus venaient nous voir, nous disaient bonjour mais surtout nous remettaient des lettres pour leur famille, que nous devions mettre à la poste.  Ils n'avaient pas le droit d'écrire tous les jours, juste un courrier de temps en temps, et il y avait la censure. Une fois j'ai eu particulièrement la frousse. Cette fois là, il y avait beaucoup de lettres et je n'avais pas eu le temps de les cacher sur moi, quand un gardien que nous ne connaissions pas, est venu se planter devant la porte de la cellule et m'a dit "les visites sont terminés". Cette fois là, j'étais seule, Maman n'était pas venue avec moi, je n'ai eu que le temps d'étaler mon manteau sur les lettres qui étaient sur le lit, et de m'asseoir dessus. J'ai pris tout mon temps, enfin un autre gardien que nous connaissions est arrivé et il a fait en sorte que le premier s'éloigne. J'ai eu vite fait de mettre les lettres sur moi et de partir, mais nous avions eu chaud Papa et moi. Heureusement nous n'étions pas fouillés à la sortie. Les gardiens regardaient seulement les sacs en entrant et en sortant.

A chaque fois qu'il y avait une visite à l'infirmerie, ils étaient nombreux à nous confier leurs lettres. Paulette Lapeyre, qui devait devenir ma belle-sœur quelques années plus tard, faisait elle aussi le facteur en rendant visite à ses deux frères Gabriel et Georges.

A chacune de nos visites à l'infirmerie, lorsque nous arrivions dans la cour, Maman et moi, il y avait un ami de Papa, Henri Neveu, qui venait nous dire bonjour avec à la main deux roses, qu'il nous offrait. Je n'ai pas su où il les avait.

Je me souviens que vers fin 1943, une cinquantaine de prisonniers aidés de leur gardien avaient réussi à s'évader.

Un drame aussi s'était déroulé dans la cellule de mon père à l'infirmerie, un peu de temps avant que mon père y aille. Un détenu venant d'apprendre que son fils venait d'être fusillé par les boches, est devenu presque fou et s'est pendu au grillage de la cellule. Tous les détenus ont défilé devant le cercueil, recouvert de gerbes de fleurs offert par les habitants de Villeneuve, et l'ont accompagné, ils étaient 1200, jusqu'au portail qui donne sur le côté de l'église d' Eysses, et là dehors se trouvaient les femmes de détenus, des femmes d'amis de Villeneuve, moi-même j'y étais, nous avons donc pris la suite des hommes que nous avons aperçu avant que ne se referme la lourde porte et l'avons accompagné jusqu'au cimetière. Ce sont des choses que l'on ne peut pas oublier.

Puis entre Noël 1943 et le 1er janvier 1944, alors que j'étais avec Papa dans sa cellule, il m'a dit "il faut que je te présente à un jeune homme, il est de Limoges, il veut faire ta connaissance, et m'a dit qu'il me donnerait des coups de bâtons si je ne le faisais pas.

Et, c'est comme cela que j'ai fait connaissance avec Georges Lapeyre, qui devait en 1947 devenir mon mari. Il m'a souhaité la bonne année et m'a embrassé pour la première fois. Il se trouvait à l'infirmerie, pour aider les malades, et rendre des services, il travaillait auprès du docteur Paul Weil. Mon père m'a encouragé pour que je devienne amie avec Georges, me disant que qu'il ne s'agissait pas d'un engagement, mais qu'il devait être difficile pour lui de vivre loin de sa famille, il avait bien un frère (Gabriel Lapeyre) interné lui aussi, mais ce n'était pas pareil. Finalement ce qui devait arriver, arriva…. Je suis tombée amoureuse de ce jeune homme.

Quand j'arrivai dans la cour de l'infirmerie, j'entendais une galopade dans l'escalier, c'était lui qui arrivait en courant, au risque de tomber, tellement il allait vite dans l'escalier. Il était chaussé de sabots, comme tous les autres, la tenue de bure, un béret sur son crâne rasé, malgré son uniforme et ses cheveux rasés, il me plaisait bien.

Quelques temps avant la révolte la gouvernement de Vichy a fait partir le directeur qui était trop bon et il a été remplacé par le colonel milicien Schivo - sa femme ancienne membre des jeunesses hitlériennes - et ses deux  lieutenants les tueurs Robert dit "Alexandre" et Latapie anciens condamnés de droit commun .. Avec eux finies les visites à l'infirmerie, il faut aller au parloir, ensuite il n'y aura que Maman qui aura le droit de visite, il faut que ce soit toujours la même personne. Nous avions déjà un laissez-passer avec notre photo délivré le 16 octobre  1943, les visites étaient le lundi et jeudi. C'est après les événements que je n'ai pas pu revenir voir ni Papa ni Geo. Et, là bien entendu les visites au parloir, Papa était revenu dans le quartier cellulaire.

Puis, il y eu le 18 février 1944.

J'allais du côté de la Dardenne, je ne passais pas très loin de la Centrale, j'ai entendu des bruits sourds, mais je ne me suis pas rendu compte que les bruits venaient D' Eysses. C'est une fois rendu chez nous que Marcel Dejean et Marcel Deville ont dit qu'il se passait quelque chose à la prison, ça a duré toute la nuit et le lendemain. C'étaient les prisonniers qui se révoltaient. Nous savions qu'il se passerait quelque chose un jour ou l'autre, nous savions qu'ils devaient tenter une évasion collective, chacun savait ou il devait aller s'il réussissait à s'évader. Papa devait lui se cacher chez sa cousine Marie-Louise.

Hélas, ça n'a pas réussi, à cause des droits communs qui ont réussi à donner l'alerte. Il y a eu un premier blessé grave qui décédera de ses blessures. C'est Gabriel le frère de Geo (Georges) avec un autre prisonnier qui protégé par un matelas sont allés le récupérer pour le mener à l'infirmerie, là le docteur Paul Weil, l'amputa d'un bras, mais le pauvre n'a pas survécu. Les jeunes dont Geo et Gaby (Gabriel) avaient défoncé les portes avec des haches.

Un jour Armand, le mari de Nanon, est passé près de la centrale, il est venu à la maison pour nous dire, "il se prépare quelque chose à Eysses, car il y a plein de camions de GMR qui montent la route d' Eysses". En effet il est arrivé environ trois mille miliciens et GMR qui vont encercler la prison, ils ont ordre de mettre fin à l'insurrection. Il y a aussi  les Allemands qui arrivent avec des canons qu'ils installent sur les hauteurs tout autour, et tout cela sous les ordres de Vichy et Joseph Darnand bras droit de Laval et de Pétain. Le 20 février nos détenus ont capitulé après que les ennemis ont investi la prison. Ils se sont rendus, car les autres étaient prêts à bombarder la prison, cela aurait été un carnage. Schivo avait donné sa parole d'honneur qu'il n'y aurait pas de représailles, malheureusement on connaît la suite, interrogatoire, pour savoir qui avaient des armes etc. …le gardien chef Dupin a même désigné lui-même une cinquantaine de détenus. A la libération il sera condamné aux travaux forcés à perpétuité le 7 décembre 1948 par la cour de justice de Toulouse.

Nous arrivons à ce triste jour que fut le 23 février, où 12 détenus ont été jugés, condamnés à mort immédiatement et fusillés. Ils furent inhumés de nuit au cimetière Ste Catherine. Interdiction avait été faite aux habitants d'aller sur les tombes et d'y mettre des fleurs.

Maman y est allé quand même, les cercueils étaient recouverts de terre, et il y avait pêle-mêle des croix en bois avec le nom, Maman voulait savoir les noms, car nous ne savions pas qui avait été fusillé. Il se trouve qu'il y avait des policiers dont un qui connaissait Maman (je ne me souviens plus de son nom), il lui a dit "soyez rassurée votre mari n'y est pas, ni Cavaillé, ni Marlas, mais ne restez pas là c'est interdit". Maman a été la première à s'incliner sur leurs tombes et y mettre des fleurs.

Quelques jours après, j'y suis allé avec Maman et Paulette Déjean, nous avons porté des fleurs malgré l'interdiction. Il y  avait beaucoup de femmes de détenus qui étaient venus pour essayer d'avoir des nouvelles, car c'était encore pire que nous, n'étant pas de Villeneuve, elles ne savaient rien.

Par l'intermédiaire d'un gardien Mr Guibert, les petits mots ont recommencé à circuler entre Papa et nous, et enfin j'ai eu des nouvelles de Geo.

Quelques temps après ces événements, je me promenais avec mon amie Georgette ( Imbert) derrière la centrale, on ne pouvait plus passer sur la route qui longeait le mur de la prison, mais nous étions dans les champs et j'avais des jumelles que m'avaient prêté Paulette Dejean. Donc nous étions là, et j'ai aperçu des détenus aux grilles, quelqu'un m'avait reconnu et avait été chercher Papa (je l'ai su après), ils nous faisaient tous bonjour, on ne pouvait pas les reconnaître. Je ne me suis pas servi des jumelles qui étaient dans mon sac, car il y avait deux jeunes GMR qui sont venus, nous avons fait semblant d'aller chez quelqu'un puisqu'il y avait des maisons. Ils n'ont pas insisté, je crois qu'ils avaient  envie de draguer. Aussi nous sommes parties et nous n'avons jamais recommencé. C'était trop dangereux, nous aurions pu tomber sur des plus méchants. Eux de l'autre côté des grilles avaient eu un peu peur pour nous. Mais je voulais voir mon père et Geo puisque je ne pouvais plus leur rendre visite.

C'est à peu près en même temps que les événements d' Eysses, qu'un matin nous avons vu les boches arriver à Villeneuve.  Les soldats s'étaient installés à l'école maternelle qui fait le coin de la route de Casseneuil. Quand aux officiers ils s'étaient installés dans le plus grand hôtel de Villeneuve "l'hôtel Gache", qui se trouvait rue de Casseneuil, en face où je travaillais. On les voyait rentrer et sortir, aussi pour être tranquille notre patronne avait mis un genre de paravent en bois ce qui nous permettaient de laisser les portes ouvertes de l'atelier.

Bien entendu la rue était barrée et gardée à chaque extrémité par des soldats. Il fallait montrer les papiers, pour nous c'était une feuille de paye qui prouvait que l'on travaillait dans cette rue. J'allais au travail à vélo, mais par la suite j'y suis allée à  pieds et quatre fois par jour, car les boches ont commencé à prendre tout ce qui roulait d'abord les autos et ensuite les vélos.

Le dimanche les soldats se promenaient sur la route de Casseneuil, et venaient jusque devant chez nous, je me souviens c'était au moment des cerises, ils ne se gênaient pas pour entrer dans les jardins pour les cueillir.

Un dimanche, un groupe nous a abordé, ils étaient polonais, il y en avait un parmi eux qui parlait français.  Ils avaient été enrôlés de force dans l'armée d'Hitler. Il nous a fait voir la photo de sa femme et de ses enfants. Avec Paulette Dejean nous lui avons parlé de Papa, il nous a dit que c'était très mauvais pour lui, il parlait de camp (donc il était bien au courant des fameux camps en Allemagne).

Nous étions obligé de faire attention à mon filleul Jean-Claude, fils de Paulette et Marcel Dejean. Un mignon blondinet tout bouclé, il avait six ans, au moment de ces événements, et il chantait sans arrêt "ce sont ceux du maquis, ceux de la résistance.

Comme je l'ai dit plus haut, plus rien n’était comme avant, après la révolte. Je n'avais plus le droit de voir Papa. Il fallait que ce soit toujours la même personne, aussi c'était Maman qui rendait visite à Papa.

Puis le 6 avril, Geo a été libéré de la centrale, pour aller dans un "chantier de jeunesse". Les deux chefs du chantier qui étaient là pour les encadrer (ils étaient cinq ou six) les laissèrent profiter de leur famille avant de repartir. C'était la première fois que nous nous voyions Geo et moi en dehors de la centrale. Il m'a raconté son enfance, son rôle de la résistance du Limousin. Il s'était engagé le 16 avril 1942 au 6éme cuirassier et il était parti en Algérie. Après avoir été mis en congé d'armistice en mars 1943, il était devenu agent de liaison, chargé du collage d'affiches, distributions de journaux clandestins, il avait participé à l'attaque du "frigo" de Limoges le 2 avril 1943, il avait également participé à la prise d'effets militaires dans des chantiers de jeunesses. Il avait été arrêté sur dénonciation avec les autres membres du réseau, condamné à 1 an de prison, et donc libéré le 6 avril 1944.

Deux fois j'ai reçu du courrier par l'intermédiaire d'un chef des chantiers de jeunesses. Il n'y est pas resté longtemps, car il a eu droit à une permission et n'est pas retourné au camp. Il fut de nouveau arrêté le 3 mai 1944 en gare de Limoges sur dénonciation, ils avaient dissimulé des tracts dans ses chaussettes. Il a été envoyé dans un camp à St Paul d' Eyjeaux en Haute Vienne, jusqu'au  12 juillet 1944 ou après une nouvelle évasion il rejoint le maquis des Charentes à Pessac (FTPF). Il a participé à la libération de Limoges et ensuite à la pointe de Grave ; il fut blessé à Royan, il avait le grade de sergent FFI.

Heureusement, pour lui Geo fut libéré le 9 avril 1944, car le 30 mai de la même année, les patriotes d' Eysses sont livrés aux mains des nazis, deux par deux, mains sur la tête, ils rejoignent la cour d'honneur de la centrale. Ils sont fouillés, giflés, tapés à coup de pieds pour la moindre photo, mouchoir, ou autre trouvés sur eux.

Ces mêmes Allemands qui frappent a coups de crosse ou de pieds, mettront le Sud-Ouest à feu et a sang, déporteront tous les hommes de la Capelle Biron, pendront quatre vingt dix neuf martyrs à Tulle, et ensuite çà sera Oradour sur Glane…

Donc nos patriotes qui sont dans la cour d'honneur sont alignés en colonne, ils n'ont pas de ceinture pour tenir leur pantalon, et s'ils font le geste de la tenir, ils sont frappés. Certains sont montés dans des camions, les autres iront à pieds, sept kilomètres pour aller à la gare de Penne, les boches les faisaient courir, et si un tombait, il était frappé, un a même était tué. Tonton est tombé, mais deux copains, l'ont soutenu jusqu'à la gare, heureusement ils étaient presque arrivés, ils ont eu très peur pour lui.

Papa, était infirme, il avait une malformation à un pied, et la femme du directeur l'a fait monter dans un camion assis près du chauffeur, c'est étonnant de sa part, car elle frappait ceux qui étaient à terre.

Au retour de Dachau, papa nous a raconté que lorsqu'il était dans le camion, il s'est aperçu que les camions s'étaient trompés de route et qu'ils allaient droit dans le maquis, il n'a rien dit, mais ils s'en sont rendu compte et ont fait demi-tour mais encore plus méchant qu'avant. Papa nous a dit, "j'aurai certainement été tué, mais les copains auraient été sauvés, car le maquis aurait tiré sur le chauffeur".

Les personnes qui habitaient sur le trajet avaient reçu l'ordre de fermer leurs volets, partout il y avait des Allemands, la gendarmerie de toute la région, et les miliciens. Puis les patriotes sont montés dans le train. Le maquis de Prosper est arrivé trop tard, le train roulait déjà. Il en fut de même pour la Compagnie Kléber qui arriva également trop tard. Ils avaient été alertés par la résistance de Villeneuve.

Ce train est dirigé sur Compiègne. Pour être certain d'arriver, le train n'a jamais suivi l'itinéraire prévu, ils avaient trop peur du maquis qui faisait sauter les ponts et sabotait les rails. Quand les déportés sont arrivés en gare du Mans, ils n'avaient pas bu ni mangé depuis vingt quatre heures. Le train est quand même arrivé au camp de Royallieu à Compiègne le 3 juin et là à nouveau le départ pour l'Allemagne cette fois le 17 juin. Ils sont entassés à 100 par wagon. Des wagons à bestiaux avec une botte de paille, une grande tinette, pas d'eau, les vasistas fermés.

Heureusement la solidarité d' Eysses, va se faire, ce qui leur permettra de tenir, chacun  à son tour ira respirer un peu d'air près des rainures des volets. La discipline ayant bien fonctionné, il n'y a pas eu de victime parmi les anciens d' Eysses. Par contre il y aura un autre train (mais pas d'ancien d ' Eysses) qui sera appelé "le train de la mort", n'ayant pas supporté le voyage, ils sont devenus fous, se sont entre tués ou sont morts d'épuisement.

Pour Papa ce fut Dachau, il a été sauvé par son métier, il était couturier, autrement c'était le four crématoire. Il a travaillé dans les sous-sols et a abîmé ses yeux, je me demande pour qui il travaillait, car les déportés n'avaient pas grand chose sur eux, sauf le fameux costume rayé, des galoches à semelles de bois.

Pour Tonton se fut Allach, Papa et lui ne se sont revus qu'après la libération des camps et à Villeneuve. Avant ce jour, ils n'eurent plus de nouvelle l'un de l'autre. Ce calvaire dura 10 mois.

Je me souviens de la libération, il y a eu pas mal d'arrestations les patrons de la plus grande pharmacie à la porte de Paris (local qui par la suite a servi de siège pour les déportés). Sur la route de Casseneuil il y avait une très belle villa; là aussi des collabos y ont été arrêtés, les patrons de Nanon qui tenaient la café à la porte de Paris, celui-là n' a pas eu de procès, il a été fusillé et je me souviens d'y avoir assisté, ça c'est passé dans un pré à côté de la Centrale, ce sont des maquisards qui l'ont exécuté. Il y avait aussi des filles et femmes qui avaient couché avec les Allemands, elles ont été tondues et promenaient avec une pancarte dans le dos. Schivo qui avait réussi à fuir, était recherché par le maquis. Il a finalement été reconnu par la famille d'un ancien d' Eysses à Tarascon, condamné à mort et fusillé comme agent de l'ennemi, le 29 mai 1946 au Polygone d'Agen, Alexandre a subit le même sort.

Sitôt la libération de Villeneuve, il y a eu un grand défilé auquel j'ai participé avec une délégation du maquis, en cortège nous avons été pour la première fois au mur des fusillés, où ont été déposées des gerbes. Ces soldats sans tenue rendaient les honneurs, avec une grande tristesse au fond des cœurs, car nous ne savions pas ce qu'étaient devenus tous nos déportés, nos anciens d' Eysses. Mais quelle fierté, de pouvoir rendre hommage à ceux qui étaient tombés pour que vive la France.

Dachau sera libéré le 29 avril 1945, veille de mon anniversaire, de mes 19 ans, par les Américains, c'est une femme qui est entrée la première dans le camp. Il était temps, les boches avaient reçu l'ordre d'incendier le camp au lance flammes.

Quelques jours après la libération de Dachau, nous avons reçu la première lettre de Papa, lettre qu'il avait écrit et remis à Villon, la lettre avait été posté à Paris. Papa à quitté Dachau le 13 Mai à destination de Paris. Nous étions inquiets pour Tonton, nous n'avions aucune nouvelle. Il a fallu attendre plusieurs jours pour Marraine reçoive enfin une lettre de lui. Celle de Papa avait été plus rapide car elle était partie par avion.

Papa a été rapatrié à Paris, à l'hôtel Lutécia, qui avait été réquisitionné pour servir de centre d'accueil aux déportés qui revenaient d'Allemagne. Là, on ne les gardait pas longtemps, ils repartaient chez eux, il fallait laisser la place aux autres. Il en arrivait tous les jours.

Enfin, ce fut le retour à Villeneuve. Nos voisins, nos amis, ma mère et moi avions mis des guirlandes devant la maison pour recevoir Papa. Enfin, Papa, était devant moi, méconnaissable, amaigri, vêtu d'un costume de gros drap gris, d'une casquette, et maigre à faire peur, vieilli, dans quel état il était…

Quelques jours plus tard, c'est à Agen que nous sommes tous allés accueillir Tonton. Comme leurs retrouvailles à tous les deux furent émouvantes, ils étaient restés si longtemps sans nouvelles. Il me semble inutile de vous raconter notre émotion, notre joie de les revoir enfin ensemble et chez nous.

Dans les jours qui suivirent, çà été le défilé des amis, des voisins. Puis chez Tonton, Marraine organisa une grande réception, avec tous les amis. Ensuite la municipalité a offert un repas dans un restaurant de l'autre côté du Lot, nous étions nombreux, je ne me souviens plus si Irénée Marlas était rentré à ce moment là, car il avait attrapé le typhus, il n'est rentré qu'une fois guéri. A ce repas il y avait ceux qui avaient été arrêtés avec eux, mais libérés bien avant la déportation. Tonton a fait son premier discours ce jour là.

Notre famille d'Amiens, du côté de Maman, a tenu à nous rendre visite et surtout voir Papa. Aussi dès que les trains ont fonctionné presque normalement, ils sont venus à Villeneuve. Et, lorsque nous étions tous réunis en famille, c'est là que Geo est arrivé en permission. Je ne l'attendais pas. Ce fut une grande surprise et une grande joie aussi.  Il avait la tenue des FFI, un calot avec je crois me souvenir un pompon tricolore, un brassard avec FFI, un ceinturon blanc avec les noms des endroits où il était au maquis. Ainsi ce jour là, il fit connaissance avec toute la famille.

Puis il y a eu le premier rassemblement des déportés, hélas pas tous, ils sont venus à Villeneuve avec leur famille et ont été reçus dans les familles Villeneuvoises. Nous avions reçu Arthur Vigne, c'était le plus grand copain de Papa. Tous les voisins en ont pris chez eux, c'était les 4 et 5 août 1945. Il y avait 500 patriotes dont une bonne partie en vêtements rayés….."

J'arrête là, la retranscription des mémoires de ma mère.

Mes parents "les fiancés d' Eysses" se sont mariés le 27 novembre 1948. Ils eurent deux enfants, mon frère Jean-Paul né en 1949 et moi, Nicole née en 1952. Ils eurent six petits-enfants.

Je n'ai pas connu mon grand-père, Jean Belloni, décédé en 1947, bien avant ma naissance. Il avait trop souffert durant sa déportation son cœur était trop faible, il n'a pas résisté. Mais "Tonton" Cavaillé fut pour moi un merveilleux grand-père de substitution. Tous les ans jusqu'à son décès nous lui rendions visite ainsi qu’à Marcelle. Nous habitions avec mes parents à Versailles et ensuite à Fontenay le Fleury toujours dans les Yvelines.  Même après mon mariage en 1973, nous leur rendions visite avec mon mari.

Mes parents Georges Lapeyre et Jeannine Belloni, sans doute marqués par une jeunesse difficile, nous ont quitté bien trop tôt. Ils reposent au cimetière de Fontenay le Fleury.

Ma grand-mère Marguerite, s' est éteinte le 17 décembre 2000 dans sa 101 année, à Villeneuve, elle repose au cimetière Sainte Catherine.

Les rangs des anciens d' Eysses se déciment petit à petit avec les années qui passent. Mais même s'ils dorment au fond de notre cœur, leurs mémoires sont toujours là; vigilantes auprès de nous; ils ne tomberont pas dans l'oubli. Pas chez nous, car nos enfants sont là.

De notre mariage, Alain et moi, avons eu deux enfants, Fabrice en 1974 et Delphine en 1978. Ils ont eu une enfance heureuse, passant les mercredis et les vacances scolaires auprès de leurs grands-parents, qui avaient tant de choses à leur raconter. Si Delphine se consacre au Droit, Fabrice s'est tout naturellement tourné vers l'histoire. Nul ne sera surpris que sa période de prédilection se situe entre 1939 et 1945.  La mémoire, leurs mémoires, notre mémoire, maintenant c'est Fabrice.

Nicole Bourrée-Lapeyre