La presse féminine, de 1870 à nos jours

 - 1ère partie -

La lente mise en place de la presse féminine moderne

C’est à la fin du XVIIIème siècle que la presse féminine fait son apparition. Il s’agit de feuilles de mode, de périodiques mondains et littéraires ou plus rarement de journaux épousant la lutte des femmes pour leur émancipation. La « Belle Epoque »  de la presse française se traduit par un énorme accroissement du tirage (celui des quotidiens passe à Paris de 1 million en 1870 à 5,5 millions en 1914). La IIIème République met un terme à une lutte de près d’un siècle opposant les gouvernements aux journaux et reconnaît la liberté de la presse. On assiste à ce moment à une multiplication des journaux de mode essentiellement.

            I. L’apparition des magazines féminins (1871-1945)

                        A. Le développement de la presse populaire pratique

Dès 1872, le Petit Journal lance avec succès La Mode miniature féminine illustrée. Les années 1880 voient naître une douzaine de magazines féminins tels que La Mode de Paris, L’Illustrateur des Dames, La Mode Universelle, La Mode pour tous... Une nouvelle presse féminine, populaire et pratique se développe entre les deux grandes tendances déjà présentes : les journaux de mode réservés à une classe relativement aisée et les journaux féministes.

En 1879, une grande famille catholique, rachète Le Petit écho de la Mode, titre agonisant. Le Petit écho de la Mode devient un hebdomadaire pratique s’adressant surtout aux mères de famille et aux maîtresses de maison. L’insertion d’un roman feuilleton aux pages détachables fait bondir le tirage de 5000 à 100 000 exemplaires; en 1893, avec l’introduction d’un patron, le tirage grimpe à plus de 200 000 exemplaires.

C’est dans ces années que se forme la trame de la presse féminine actuelle : le côté pratique avec Le Petit écho de la Mode, le côté sentimental avec La veillée des chaumières et le côté luxueux avec L’Art et la Mode.

                        B. La presse féministe jusqu’en 1914

En 1881 est fondée La Citoyenne par Hubertine Auclert : il s’agit d’un journal anticlérical qui combat sur tous les fronts et en particulier pour l’égalité avec les hommes. L’hebdomadaire socialiste L’Harmonie sociale, fondé en 1892, dénonce les dures conditions de travail des ouvrières. Puis viennent La revue féminine, Le Journal des Femmes, L’Abeille. En 1896 paraît un bimensuel La Femme de l’Avenir, qui provoque un scandale en abordant un sujet tabou : l’hygiène sexuelle.

Parmi tous ces journaux, un quotidien se distingue : c’est La Fronde de Marguerite Durand, chroniqueuse au Figaro. C’est un journal complet : revendications féministes, chroniques historiques, pages boursières, grands reportages en direct des usines... Ce journal tire à 200 000 exemplaires en 1905. Il inaugure le journalisme moderne au féminin. La première guerre mondiale met fin à ce journal, qui refera une brève apparition entre 1926 et 1928, avant de disparaître définitivement.

                        C. L’entre-deux-guerres

La mode commence à descendre dans la rue; la presse féminine se popularise.
En 1930, le pionnier, Le Petit Echo de la Mode, tire à 1 130 000 exemplaires.
Les titres de revue prolifèrent : Le Jardin des Modes (1918), Modes et Travaux (1919), Mon ouvrage (1922)...
Devant le rôle pris par les femmes dans les décisions d’achat, les directeurs de journaux cherchent à gagner une clientèle féminine et populaire : Eve devient le supplément féminin de 20 quotidiens régionaux; Nos loisirs, celui du Petit Parisien.

Autre innovation : La Mode inaugure l’échange d’idées entre lectrices. Ce courrier des lectrices donne l’idée à M. Paul Winkler d’inventer le premier magazine du coeur; il lance Confidences en 1938, qui atteint 1 million d’exemplaires un an après. Le développement de l’industrie des cosmétiques permet la création de plusieurs magazines : Votre beauté (1932), mensuel de luxe s’adressant aux femmes aisées. Marie-Claire (1939) fait une véritable révolution. Jean Prouvost lance ce magazine féminin tiré dès le départ à 800 000 exemplaires. Il s’agit d’un compromis entre le luxe de Vogue et les formules plus populaires.

Au moment où la guerre éclate, il est intéressant de remarquer que les trois éléments constitutifs de la presse féminine contemporaine existent déjà :

1° le magazine pratique familial : Le Petit écho de la Mode
2° le magazine moderne grand ouvert aux influences américaines : Marie-Claire
3° le magazine populaire : Confidences

            II. La nouvelle presse féminine moderne (1945-1968)

Les journaux féminins ont été durement touchés par la guerre.

Marie-Claire subsiste pauvrement jusqu’à la libération. L’Echo de la Mode (ancien Petit écho de la Mode) continue sous une forme appauvrie. De même pour Modes et Travaux qui apprend aux ménagères à gérer la pénurie. Il faut maintenant répondre à une nouvelle soif de lecture des Françaises, à l’heure où le modèle américain fonctionne comme un guide.

                        A. La floraison de nouveaux magazines féminins

En novembre 1944 est créé l’hebdomadaire Marie-France. Ce magazine connaîtra des heures difficiles jusqu’en 1956 où il devient mensuel.

En 1945, sous l’impulsion d’Hélène Gordon-Lazareff, les éditions « Défense de la France » créent Elle. Hélène Gordon-Lazareff est une ancienne rédactrice de Marie-Claire, elle a travaillé pendant la guerre au Harper’s Bazaar, grand magazine féminin américain dont elle s’inspirera pour créer Elle. Il est le premier magazine à inaugurer la publicité en couleurs.

En 1954, Marie-Claire reparaît sous la forme d’un mensuel bon marché. Le premier tirage est fait à 500 000 exemplaires. Le journal retrouve sa clientèle d’avant-guerre. Ce journal revendique l’émancipation de la femme et sa promotion dans la société.

Parallèlement à cette presse moderne, la presse traditionelle continue de s’élargir.

L’Echo de la Mode poursuit sa publication sans rénovation jusqu’en 1966 où il modernise contenu et couverture.

Le développement de ces deux types de presse reflète deux facettes de la femme française : le besoin d’épanouissement de la femme émancipée et le souci de confort de la mère de famille. Durant cette période, des formules nouvelles apparaissent : des journaux racontant la vie mondaine ( Jours de France, lancé en 1954 par Marcel Dassault), mais surtout la presse du coeur. En 1946 reparaît Confidences. En 1947, Cino del Duca crée Nous Deux, comprenant un grand roman d’amour à suivre, des histoires vécues et des romans dessinées (qui sera définitivement remplacé par le roman-photo à partir de 1963).

                        B. La presse militante et idéologique

L’Echo des Françaises , organe de l’Action Catholique Générale Féminine, se classe en tête de toute la presse périodique française avec un tirage de 2 millions d’exemplaires dans les années 60.

Les communistes veulent montrer leur volonté de prendre en compte les nouvelles aspirations des femmes. Ainsi en 1955 est créé Antoinette, journal féminin de la CGT.


- 2ème partie -
De la fin de l’âge d’or de la presse féminine au renouveau

 

            I. Le déclin et la crise (1968-1976)

Les années 60 marquent la fin de l’âge d’or de la presse féminine. La vente moyenne des périodiques féminins baisse d’environ 20 % et l’ensemble de cette presse perd environ 2 millions de lectrices. La cause principale de ce déclin est la concurrence des autres moyens d’information : la radio depuis longtemps, la télévision depuis peu.

Le premier type de presse touché est la presse du coeur (à cause de l’attrait des lectrices pour la télévision), viennent ensuite les journaux de type Elle ou Marie-Claire. Autre raison   la condition féminine est en pleine mutation : féminisation massive du secteur tertiaire, allongement de la scolarité par un accès plus aisé à l’enseignement supérieur, révolution des moeurs avec la loi légalisant la contraception en 1967. Ces transformations dépassent très rapidement la presse féminine qui n’a pas su s’adapter assez rapidement.

                        A. Mai 1968

Mai 68 inaugure une nouvelle période de bouleversements sociaux. On assiste à l’émergence du MLF. C’est une phase de contestation radicale. La presse féminine doit prendre en compte ce mouvement sous peine de disparaître.

Modes et Travaux voit son tirage passer de 2 millions à 1,5 millions d’exemplaires après 1968. Les journaux les plus touchés sont les « haut-de-gamme » car les catégories socio-professionnelles supérieures ont très vite adhéré au mouvement contestataire et elles considèrent leur presse inadaptée.

Elle , premier magazine féminin à traiter des problèmes sexuels avant les années 60, a vu sa diffusion baisser de 591 000 exemplaires en 1966 à 555 000 en 1971.

Elle prend l’initiative d’organiser des « Etats Généraux de la Femme » en novembre 1970. Cette rencontre suscite une large adhésion de la part des femmes et relance le tirage du magazine.

                        B. Les années noires (1973-1976)

On assiste à une accentuation de la désaffection des femmes pour leur presse. Les principaux titres de la presse féminine enregistrent une chute de diffusion de 30 % entre 1966 et 1976. De nouvelles revendications apparaissent. C’est une période d’évolution des moeurs (loi Veil sur l’avortement en 1975) et c’est aussi une période de crise économique.

La femme de cette époque, à la fois maîtresse de maison, épouse, mère, travailleuse ne se retrouve pas dans cette presse.

Entre 1973 et 1976, Elle voit ses ventes chuter de 500 000 exemplaires à 300 000; et Marie-Claire de 520 000 en 1973 à 400 000 en 1976.

            II. Le redressement (1977-1980)

                        A. Le renouveau des « haut-de-gamme »

Marie-Claire crée un cahier Femmes entièrement consacré à l’actualité féministe. Les thèmes les plus souvent abordés sont le travail, le divorce, la contraception et l’avortement.

Le magazine Elle, quant à lui, développe en plus des rubriques modes et beauté un cahier de tête où l’on traite de l’actualité, des spectacles, des personnalités. Elle devient le troisième support publicitaire après L’Express et le Nouvel Observateur.

                        B. Le faible retour des journaux féministes

Entre 1977 et 1978, 8 nouveaux titres apparaissent : Questions féministes, Les Cahiers du Féminisme, Le temps des femmes...

La multiplication de titres répond à un besoin et à un désir d’utiliser la presse comme un moyen de réflexion entre femmes. De nouveaux problèmes tabous sont abordés : viol, prostitution, femmes battues...

La particularité majeure de cette presse est qu’elle refuse la publicité (vente par abonnements et lors de manifestations).

                        C. Les magazines spécialisés

C’est un nouveau marché qui se dessine. Chaque tranche d’âge, profession, sport ou loisir va avoir son propre magazine.

On peut distinguer deux types de spécialités dans la presse féminine :

· par styles et mode de vie

1973 : création de Cosmopolitan par le groupe Marie-Claire. Le but de ce magazine est de réconcilier féminisme et féminité par l’humour. L’éditorial du premier numéro dit : « On n’est ni pour, ni contre les hommes mais avec eux, l’hiver, ça tient plus chaud dans un lit que la gloire ». La diffusion atteint 75 000 exemplaires la première année. Elle atteindra 300 000 numéros par mois dix ans plus tard.

En 1974, le même groupe lance 100 idées qui propose des travaux de couture non conformistes (couleurs éclatantes par exemple).

Eclosion aussi de nombreux mensuels consacrés au corps et à la santé. Deux courants se développent :          
- information médicale et hygiène de vie Þ Santé Magazine (1976)
- culte du corps par le sport (jogging, aerobic...) Þ Vidal (1980)

· par classe d’âge et catégories socio-professionnelles

La presse pour adolescents existe depuis les années 60 ( Salut les Copains).
En 1975 est créé Jacinthe. Ce magazine s’adresse à la jeune fille de 15-20 ans issue d’un milieu familial aisé et provincial.
En 1977 est créé 20 ans. Il s’adresse à la jeune fille parisienne soucieuse de suivre la mode.
En 1976 est créé Enfants magazine. Il s’adresse à la jeune mère.
En 1980 est créé Biba, s’adressant à des femmes de catégories socio-professionnelles supérieures.
Enfin, des titres de mode luxueux apparaissent : Dépêche Mode, Le Jardin des Modes.

                        D. Le déclin des populaires

La diminution progressive de leur diffusion se poursuit. Une seule exception : Modes et Travaux qui diffuse à 1 400 000 exemplaires en 1980. Il reste le guide de la femme dans tous les domaines.

Pour les autres, la baisse est remarquable.

Femme Pratique perd environ 100 000 lectrices en 8 ans.

Famdo qui est la fusion de Femmes d’aujourd’hui et de l’ Echo de la mode reste le premier hebdomadaire féminin mais diffuse à moins de 1 million d’exemplaires en 1980. Il a perdu un million de lectrices en 10 ans.

En revanche, la presse du coeur semble se stabiliser. Nous Deux dépasse le million d’exemplaires. Le roman-photo se renouvelle. On y parle des problèmes de drogue, de divorce ou de chômage.

Pour la presse féminine populaire, l’un des facteurs qui explique le mieux la désaffection d’une partie des lectrices est lié au vieillissement des titres : mauvaise qualité du papier, maquette souvent médiocre, petit nombre de pages en couleurs, part trop importante de romans-photos... L’autre facteur a déjà été évoqué, il s’agit de l’attrait grandissant pour la télévision.

            III. Le tournant des années 80

                        A. Le retour de la féminité

A partir de 1982, les titres « haut-de-gamme » proclament la mort de la lutte des femmes et le retour de la féminité. Les principaux combats ont été gagnés, les acquis sont passés dans les lois. Les revues féministes cessent de paraître.   La presse féminine revient à sa fonction première : louer le bonheur d’être femme.

Les magazines féminins se remodèlent. Elle modifie son concept. Les pages actualités et politique sont remplacées par des pages centrées sur l’actualité du show-business et sur la vie des stars.

Un autres signe de retour aux « valeurs sûres » réside dans le lancement en 1980 de Madame Figaro, supplément du quotidien. Ce magazine est d’abord mensuel, puis bimensuel, et devient hebdomadaire en 1984. Ce titre s’adresse à des femmes aisées, cultivées, de la bourgeoisie traditionnelle. Dans tous les thèmes abordés le journal se présente comme un guide du retour au « bon chic, bon genre ».

                        B. L’explosion des féminins populaires

La sortie du mensuel Prima en novembre 1982, fait l’effet d’une bombe dans le monde des médias. Le tirage passe de 500 000 exemplaires pour le premier numéro à 1 400 000 exemplaires deux ans plus tard. La formule a été très étudiée par plusieurs enquêtes marketing afin de répondre aux mieux aux besoins des femmes. C’est un magazine populaire mais de qualité.

En 1984 est lancée Femme actuelle, qui connaît un succès immense. Il s‘agit du même concept que Prima mais sous forme d’hebdomadaire. En janvier 1986, la diffusion approche les 1 500 000 exemplaires et prouve l’attachement des femmes à la presse féminine et l’importance de ses fonctions sociales.

Conclusion

L’histoire de la presse féminine jusqu’à la période contemporaine a montré à quel point elle épouse l’évolution des mentalités et des modes de vie, comment elle reflète les bouleversements liés à l’émancipation des femmes. Au départ, simple journal de mode, la presse féminine est devenue militante. Elle a participé aux luttes des femmes jusqu’à la fin de celles-ci. Dans les années 60 et 70, elle a connu des problèmes liés aux nouvelles revendications féministes puis à la crise économique. Actuellement, elle connaît un regain d’activité. De 1982 à 1989, sa diffusion n’a cessé d’augmenter. En 1989, on dénombrait 55 titres féminins dont 17 de mode, 14 concernant les arts ménagers, 7 concernant la santé et la beauté et 17 magazines généralistes.

Article rédigé par Fabrice BOURREE
d’après La presse féminine, collection Que sais-je ?