Les trousseaux du temps jadis

Qui n'a jamais ouvert un jour l'armoire de sa grand-mère à la recherche de vêtements surannés pour se déguiser ? Et, ô ! merveille, un vieux chapeau à voilette, une culotte ouverte ornée de dentelles, des draps brodés, encore jaune de n'avoir jamais été utilisés, se cachaient derrière les portes.

Qui ne s'est jamais perdu dans un grenier, en quête de souvenirs, pour finalement dénicher de vieilles photographies en noir et blanc, semblant avoir traversé les âges, où un couple de jeunes mariés intemporels affiche un timide sourire de bonheur ?

C'était, il y a longtemps, vos grands-parents, vos arrières grands-parents peut-être.

Le mot trousseau vient du verbe "trousser" qui, en ancien français, signifiait "mettre en paquet". Ainsi, le trousseau aurait été, le paquet de vêtements qu'emportait la personne qui quittait son foyer pour de nouveaux horizons.

Au XIXe siècle, puis au XXe siècle, le trousseau accompagne chaque étape importante de la vie sociale : la plus prestigieuse, le mariage, mais aussi l'entrée en religion de la jeune fille, la naissance, et le départ en pension de l'enfant.

La confection des trousseaux a, de tout temps, été une affaire de femmes. Cela comprenait, la filature, la couture et la broderie. Paysannes, femme du peuple, mais aussi dames nobles et princesses, s'y sont adonnées depuis que l'on sait filer et coudre. On raconte même qu'au Moyen Age, reines et princesses filaient à cheval, en suivant les chasses de leurs maris.

Depuis sa plus tendre enfance, la petite fille, prépare le trousseau de mariée qui l'accompagnerait jusqu'à sa mort, puisqu'elle brodait même parfois son drap mortuaire. Bien souvent au prix de grandes souffrances et d'heures de patience incalculables, un long apprentissage commençait par le maniement de la quenouille, du fuseau et de l'aiguille. Quand elle était devenue suffisamment habile, elle filait, cousait et brodait le tissu, puis le linge.

Dans les campagnes, pour les petites filles de familles pauvres, ces activités étaient une obligation car c'était le seul moyen dont elles disposaient pour confectionner quelques vêtements. Par contre, chez les petites filles riches c'était un passe-temps qu'elles abandonnaient ou reprenaient à loisir.

         De la même manière que pour les autres biens, nous connaissons la composition des trousseaux des grandes familles par les inventaires qui en étaient dressés après un décès et qui consignaient aussi bien le nom des pièces de linge que leur quantité, leur matière et leur état d'usure. A l'inverse, il y a peu de traces écrites sur ceux des familles les plus modestes car, bien souvent, il n'y avait pas lieu de répertorier les biens de succession.

La composition du trousseau de la mariée a évoluée au cours des siècles, suivant les soubresauts capricieux du contexte économique et de la mode. Pendant longtemps, la future mariée confectionna non seulement tout le linge de la maison, son linge personnel, mais aussi ses vêtements qui disparurent du trousseau au cours du XIXe siècle. Le corset vint s'ajouter à la lingerie dès le XIVe siècle, mais l'usage de ce carcan exclusivement féminin se perdit après la Première Guerre mondiale.

Au XIXe siècle, les serviettes de toilette remplacèrent la touaille, simple morceau de toile qui semblait suffire jusque-là. A cette époque, le nombre de pièces du trousseau, la qualité des tissus de chaque élément et ses ornements, chiffres, rubans, plis, jours, dentelles ou broderies, dont certaines étaient plus appréciées que des parures de bijoux, constituaient un moyen supplémentaire pour les familles d'affirmer leur rang dans la société. Le linge de maison, d'une grande richesse, y était alors représenté dans des quantités parfois vertigineuses, alors que les classes sociales les plus pauvres éprouvaient souvent de grandes difficultés à doter leur fille d'un seul et unique drap.

C'est au XVIIIe siècle qu'apparut l'expression "corbeille de mariage". Elle s'appliquait aux présents offerts, dans une corbeille en vannerie, à la jeune fille par son fiancé. Par extension, on dénomma ainsi l'ensemble des cadeaux qu'il lui faisait pendant la période des fiançailles puis, de nos jours, tout ce qui est offert aux jeunes époux. Au XIXe siècle, la jeune fille y trouvait des bijoux, des dentelles léguées par sa belle-mère, des métrages de tissu, des fourrures et de multiples colifichets et rubans qui viendraient agrémenter ses toilettes. Ainsi, avec la corbeille, le fiancé ajoutait un brin de fantaisie à l'aspect pratique du trousseau.

 

Dans l'attente des fiançailles, les jeunes filles marquaient leur trousseau en brodant l'initiale de leur patronyme sur chaque pièce de linge. Dès qu'elles étaient fiancées, elles y ajoutaient l'initiale du nom de leur futur mari. C'est ce que l'on appelait chiffrer le linge. On rencontre parfois du linge orné d'une initiale esseulée : la jeune fille n'aura jamais terminé son trousseau, faute de s'être mariée ou de ne pas avoir vécu assez longtemps.

En règle générale, le linge de maison était chiffré aux deux noms de famille des époux, alors que le linge personnel portait les initiales de leurs prénoms et de leur nom. Pour les bébés, il arrivait que l'on brode "bébé", et le prénom entier pour les enfants. Quand il s'agissait du linge courant, comme les torchons, on chiffrait au simple point de croix et en rouge. Par contre, le linge de belle qualité était orné de chiffres blancs très ouvragés en broderie, et d'une couronne dans les grands familles nobles.

Jusqu'au XIXe siècle, le trousseau se composait traditionnellement du linge de maison - linge de service, de table, de lit et de toilette -, du linge personnel de la mariée et de ses vêtements : robes, manteau, châles… Mais la mode, qui engageait les femmes à renouveler plus souvent leur garde-robe, en fit disparaître les vêtements.

Au début du XXe siècle, on ne trouvait plus dans le trousseau d'une mariée que les draps, taies d'oreillers, les nappes, les serviettes de table, les torchons, les serviettes de toilette et son linge de corps : chemises, chemise de nuit, cache-corset, corsets, culottes, jupons, bas, cols et manches. Les quantités de culottes et de chemises en coton, en fil (c'est à dire en lin) et même en chanvre demeurèrent longtemps assez extraordinaires, on en changeait plus que de vêtement, et il fallait bien en avoir suffisamment pour attendre la seule lessive de l'année !

Peut-on dire que le mariée apportait un trousseau dans son nouveau foyer ? Rien, en tout cas, que l'on puisse comparer avec celui de son épouse, puisqu'il se contentait, pour tout bagage, de son linge personnel : Pantalons, caleçons longs et courts, en coton ou en tricot pour les différentes saisons, chemises de nuit, manchettes, cravates, nœuds, épingles de cravate, bretelles, sans oublier les chemises, en toiles de toutes sortes, grossières pour le travail, fines pour les sorties.

Imaginez les piles de draps de lin brodés d'initiales entrelacées, rangés avec tant de soin sur les étagères des armoires, que côtoyaient de belles taies d'oreillers assorties.

On ne bordait pas les lits de façon à laisser visibles les entrelacs et autres broderies qu'on avait mis des heures à réaliser. Dans les familles pauvres, la jeune fille ne possédait dans son trousseau qu'un simple drap de chanvre, cousu dans le milieu le plus souvent, mais elle n'en était pas pour autant moins fière…

Au XIXe siècle, les femmes veillèrent à donner à leurs chambres un aspect intime et chaud avec des rideaux aux fenêtres, des courtepointes épaisses, des descentes de lit, des pochettes de soie déposées sur leur couche et des tables de toilette encombrées de flacons.

La serviette éponge, épaisse et douce, dont nous nous servons tous les jours, est née avec les progrès de l'hygiène et la mode des bains de mer. Le mot est apparu en 1890 et son usage s'est répandu après la Première Guerre mondiale, aussi bien pour les vêtements de sport que pour le linge de toilette.

Et le gant de toilette ? Ce ne fut longtemps qu'un simple carré de tissu qui se roulait en boule dans la main dès qu'on le mouillait. Un jour, on eut l'idée de le plier et de le coudre.

Torchons en fil et en coton, tabliers blancs et de couleur, nappes et serviettes damassées et brodées, services à thé joliment frangés et napperons de différentes formes étaient indispensables au bon fonctionnement d'une maisonnée où le goût et la propreté devaient régner en maîtres.

Le tissage et la matière des torchons, variaient selon leur usage. Les tabliers étaient blancs pour le service et de couleur foncée pour les tâches les plus salissantes. Les services de table n'étaient pas toujours assortis, mais les serviettes prenaient parfois des dimensions impressionnantes. Service à thé et napperons permettaient beaucoup plus de fantaisie…

Les trousseaux les plus complets comptaient trois nappes damassées aux même motifs, avec leur taille pour seule différence, une carrée pour la table ronde, une plus grande pour la table avec une rallonge, la dernière pour la table avec deux rallonges.

Les toiles cirées furent très en vogue à partir des années 1880 pour les déjeuners entre soi à la maison. Il s'agissait de toiles de coton, de lin ou de chanvre, très ordinaires, imperméabilisées avec un enduit spécial séchant rapidement. Ensuite on les rasait, ponçait, décorait et vernissait. La pratique l'emportait donc sur l'esthétique.


Poussées par l'envie de réaliser des pièces de linge toujours plus belles, les jeunes filles ou les femmes les agrémentaient de dentelles et de broderies, ornements certainement les plus utilisés. Brodeuses et dentellières professionnelles firent d'ailleurs la réputation de régions ou de villes, telles Venise ou plus tard Valenciennes, inventant points et motifs de plus en plus nombreux. Simples ou complexes, ces ornements donnaient au linge charme, finesse et cachet.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en conséquence d'une grande pénurie de textiles d'une part, et d'un profond désir de renouveau d'autre part, la tradition du trousseau fut quasiment abandonnée.

Progrès techniques, modes versatiles et surtout, emprises de la société de consommation, sont les causes les plus profondes de cette mort annoncée. La femme moderne travaille, alors quand peut-elle trouver le temps pour coudre ? La généralisation des blanchisseries, puis des machines à laver le linge ont ôté toute justification aux chères piles qui remplissaient les armoires. Néanmoins, nous possédons tous un drap de lin, une nappe ayant appartenu à une grand-mère ou un torchon en métis à liteau rouge, modestes représentants de notre patrimoine familial, mais chers à notre mémoire.

 


Extrait de l'ouvrage : Les Trousseaux du temps jadis
Aux Editions Hatier