La vie quotidienne aux XIIe et XIIIe siècles

L’habitation

Dans les villes, les logements étaient souvent exigus. La place manquait pour construire les maisons. Entourées de leur ceinture de remparts, les villes ne pouvaient pas facilement s’agrandir au fur et à mesure que leur population s’accroissait.

Si l’on excepte les demeures des seigneurs et des riches bourgeois, la pièce principale de la maison était la cuisine, avec la grande cheminée. Les Anciens ne connaissaient pas les cheminées : ils utilisaient des braseros portatifs, c’est-à-dire des sortes de bassins de métal où l’on brûlait du bois ou du charbon de bois. Les premières cheminées furent de grands braseros fixes, de forme circulaire qui se plaçaient au centre de la pièce : la fumée se répandait partout. A partir du XIIe siècle, on adossa la cheminée au mur   et la fumée sortait par le toit. Au-dessus des chenêts où brûlaient d’énormes bûches, pendait la tige de fer de la crémaillère : c’est là qu’on attachait la marmite. A portée de la main, il y avait l’écumoire, la cuiller à pot, les broches, les pincettes, le tisonnier et le soufflet (inventé au XIIe siècle). Le long du mur, on trouvait le coffre où l’on pétrissait le pain et où on le conservait quand il était cuit. On mangeait à une longue table - on ne prenait place que d’un côté, l’autre côté restant libre pour le service - et l’on s’asseyait sur un banc ou sur des escabeaux.

Dans les chambres, les lits, toujours de bois, étaient placés en lits de milieu, ne touchant le mur que par la tête. Ils étaient entourés de rideaux ou courtines. Sur la paillasse, bourrée de fouin ou de paille, on plaçait un matelas de laine ou de coton. Par-dessus les couvertures, on étendait une sorte d’édredon, la courtepointe, emplie de coton. Avant de se coucher on déposait ses habits sur une perche placée horizontalement à l’exception de la chemise qu’on glissait sous l’oreiller. Les vêtements en réserve n’étaient pas, comme aujourd’hui, pendus dans une armoire mais, comme chez les Grecs et les Romains, placés dans un coffre semblable à une grande malle.

Il n’y avait pas de carreaux de verre aux fenêtres, mais des feuilles de parchemin huilé. Le soir, on s’éclairait avec des chandelles de suif qui donnaient beaucoup de fumée.

Chez les riches, le luxe se développa au XIIe siècle. Les murs des pièces furent tendus de toiles peintes ou de cuirs de Cordoue gaufrés ou dorés. L’ensemble de ces tentures constituait ce qu’on appelait la chambre. Les fenêtres furent garnies de vitraux, faits de morceaux de verre colorés et sertis dans d’étroites lames de plomb. La vaisselle ordinaire se rangeait dans un buffet, mais, pour mettre bien en vue la vaisselle précieuse, on la plaçait sur un dressoir.

Le costume

Au début du douzième siècle, le costume différait peu de l’ancien costume franc qu’on portait au temps de Charlemagne. Les hommes avaient des braies, sortes de caleçon de toile, sur lequel on passait la chemise ou chainse, souvent gauffrée à petits plis. La chemise était encore un vêtement de luxe et on ne la portait que le jour. Il n’y avait pas de linge de nuit et l’on couchait tout nu dans son lit.

Par-dessus la chemise, on mettait le bliaud, tunique serrée à la taille et qui s’arrêtait aux genoux. Les jambes et les pieds étaient protégés par de grands bas, les chausses. Sur l’épaule droite, on agrafait la chape, manteau-pélerine à capuchon.

Puis les vêtements devinrent plus longs, du moins pour les bourgeois et les seigneurs, et tombèrent jusqu’aux chevilles. Le bliaud fut remplacé par la cotte, qui avait à peu près la même forme; par-dessus, le surcot sans manches ou à demi-manches. Enfin le manteau, souvent garni de fourrures - hermine, vair et petit-gris (écureuils), castor, etc.- était rejeté en arrière sur les épaules et retenu par-devant au moyen d’une cordelière (1).

Les bliauds et cottes des femmes tombaient jusqu’aux pieds. Les élégantes recherchaient les étoffes d’Orient et d’Italie, drap d’or, soies brochées, soies souples et satinées, brocarts ou velours satins rehaussés d’or. Parfois les manches étaient indépendantes de la robe; on se les faisait épingler ou même coudre après qu’on avait passé la cotte. Le surcot était aussi très long, parfois muni d’une traîne, et on le relevait de la main par-devant, quand on marchait. Les femmes portaient des bagues, mais n’avaient ni colliers, ni bracelets, ni boucles d’oreilles.

Coiffures et chaussures

Depuis l’époque de Charlemagne, les hommes avaient les cheveux courts. A la fin du XIIe siècle, la mode fut aux cheveux plus longs; on se les faisait doreloter, c’est-à-dire onduler. Les femmes portèrent d’abord deux longues tresses, parfois en faux cheveux. Puis elles relevèrent leurs cheveux sur la tête et les serrèrent dans un haut bandeau de linge, le touret, retenu par une mentonnière.

Les chapeaux étaient de forme extrêmement variée, depuis le bonnet-capuchon jusqu’au chapeau de feutre, au chapeau de plumes et au chapel de fleurs, sorte de couronne de fleurs que les élégants portaient comme coiffure de cérémonie. Les riches mettaient des gants en tricot, en peau ou en fourrure; on les fabriquait surtout à Londres et à Paris. Les chaussures des gens du peuple étaient confectionnées par des savetiers, celles des riches par des cordouaniers (2), c’est-à-dire ceux qui travaillent le cuir à la manière des ouvriers de Cordoue.

Les repas

Le goût du luxe se manifesta non seulement dans l’ameublement et le costume, mais aussi dans les repas.

Au moment du dîner (vers dix heures du matin) et du souper (vers six heures du soir), les serviteurs posaient sur la table les plats couverts, pour que les mets ne refroidissent pas (3). La fourchette était encore inconnue. On buvait dans des gobelets de métal ou de bois : le verre était connu, mais peu employé. Les pauvres mangeaient surtout des légumes ( les fèves et les pois jouaient le rôle que jouent aujourd’hui les pommes de terre ), du lard, du fromage, mais très peu de viande. Aux jours où l’Eglise ordonnait de faire maigre, on servait du poisson,   souvent du poisson salé qui coûtait moins cher. Les riches aimaient les viandes de gibier, cerf, chevreuil, sanglier; ils appréciaient aussi le paon, le cygne, le héron, la cigogne. On prodiguait, pour assaisonner les sauces, l’ail, la menthe et les épices ( poivre, clou de girofle, cannelle, anis, gingembre, cumin, safran ). On buvait du vin ou de la bière ou de l’hypocras , c’est-à-dire une infusion de cannelle et d’amandes dans du vin sucré.

Les jeux et les fêtes

La vie étant moins dure qu’aux siècles précédents et la richesse plus abondante, la société fut, par une conséquence toute naturelle, d’humeur plus joyeuse, plus avide de distractions de toutes sortes : les jeux et les fêtes se multiplièrent.

Les nobles continuaient à se passionner pour les jeux violents, pour la chasse, les tournois ou le jeu de la quintaine. Les tournois étaient l’occasion de grandes fêtes qui attiraient de véritables foules. Au château, le délasssement préféré des seigneurs était le jeu d’échecs. On aimait danser, jouer au billart ( qui était une sorte de croquet ) et à la soule , qui ressemblait à notre football.

De temps en temps, quelques fêtes mettaient plus d’animation dans la ville. Au jour de Noël, on élevait dans l’église une crèche; une femme et un petit enfant représentaient la Vierge et Jésus, et des assistants, vêtus en bergers, venaient adorer le nouveau-né. Ou bien le curé racontait comment les prophètes d’Israël avaient prédit la venue du Messie : à chaque fois qu’il nommait l’un d’entre eux, un fidèle s’avançait et récitait quelques-unes des prophéties que la Bible attribue à ce prophète.

A d’autres époques de l’année, on mettait en scène des récits connus de la Bible ou bien des épisodes de la vie des saints. De même, lors de la fête patronale, les confréries faisaient jouer une sorte de petite pièce de théâtre, appelée miracle , dont le sujet était un miracle attribué au patron de la confrérie.

Parfois certaines fêtes religieuses avaient un curieux accent de gaieté populaire. Le 28 décembre, anniversaire du massacre des Innocents, on élisait un évêque des Innocents qui disait la messe, donnait la bénédiction et recevait de l’évêque une redevance. Ce jour-là, dans certains couvents, les religieuses avaient le droit de recevoir des invités, de dîner et même de danser avec eux. A la même époque, on célébrait la fête de l’Ane : en mémoire de l’âne qui avait, selon la tradition, porté en Egypte la Vierge et Jésus, on amenait dans l’église un âne revêtu d’ornements sacerdotaux, on lui adressait un harangue grotesque, puis, dans un vacarme épouvantable, toute l’assistance se mettait à braire. A Reims, tous les ans, on assistait à la procession du hareng : ce jour-là les chanoines sortaient en procession et chacun d’eux traînait derrière lui un hareng attaché à une ficelle, il essayait de marcher sur le hareng de celui qui le précédait et d’empêcher qu’on ne marchât sur le sien.

La violence des moeurs

Cette société du douzième et du treizième siècle si vivante, si turbulente, offre les plus étranges contrastes. Les jours d’épouvante succèdent sans transition aux jours de farces, les massacres les plus hideux aux réjouissances les plus innocentes. Les moeurs s’affinent, les seigneurs se piquent de courtoisie à l’égard des dames; cependant la violence continue de sévir partout, aussi bien dans les classes populaires que dans la caste seigneuriale. On peut s’en rendre compte par la persistance du droit de vengeance de famille à famille, et du droit de guerre privée. Au village ou à la ville comme au château, ne pas laver dans le sang l’affront fait à l’un des siens semblait déshonorant. De là un état permanent de troubles, des rixes, des luttes à main armée, non seulement entre nobles, mais entre bourgeois et entre paysans.

On a vu que le clergé d’abord, puis les rois capétiens ensuite s’étaient efforcés de substituer l’ordre et la paix à ce régime de violence. Depuis Philippe Auguste le droit de guerre privée était limité, depuis Saint Louis il était officiellement aboli. A cet égard, le treizième siècle fut donc une époque de progrès. Les guerres et les vengeances privées n’en subsistèrent pas moins. De ces coutumes barbares, notre époque a conservé un vestige : le duel.

 

BOURREE Fabrice,
d’après un chapitre de L’histoire de Malet et Isaac ( Volume 1 )

(1) C’est au treizième siècle que l’on inventa le bouton.
(2) D’où nous avons fait le mot cordonnier.
(3) C’est de là que vient notre expression « mettre le couvert ».